Thursday, February 16, 2006

Beg / Steal / Borrow

Je dois retrouver ma vie. Comme un drogué, comme un imbécile, comme un vieillard. Je supplierais, je volerais, j’emprunterais pour ça. Bien sûr, avant, je dois savoir où je l’ai perdu.

L’année dernière. Ça c’est sûr. Plutôt au début d’ailleurs. Et puis quand j’y pense, c’est étrange, parce que sans ma vie, j’ai tout de même écrit le Manuel de Cristallographie, soit ma meilleure œuvre à ce jour. L’aurai-je perdu tout de suite après, ou en l’écrivant ? Je pourrai dire que l’écrire m’a vidé, que le livre m’a emprunté ma vie et que c’est exactement pour ça que j’attends avec angoisse les réponses des éditeurs, parce que j’attends simplement qu’ils me rendent ma vie. C’est tentant, mais ce serait oublié quelque chose d’important : mes quatre mois de travail l’année dernière.

Forcément, même sans y penser, je sais que c’est bien ça la principale cause de la disparition de ma vie. Pourtant, j’ai vécu de belles choses, très importantes, pendant que je travaillais : aller à Strasbourg pour voir Garden State, cette soirée spéciale DIG ! où j’ai vu Camille Goemans, voir In The Mood For Love en plein air tout en dégustant un milk-shake fraise, aller à Paris, rencontrer Coco Rosie aux Eurockéennes, me baigner en plein orage. Essayons de trouver les différents moments où la carapace s’est brisé.
La soirée en janvier 05 où je me suis pris une si grosse cuite que je me suis retrouvé à chanter presque nu sur une scène. Pas terrible, pas spécialement gratifiant mais bon, ça peut encore aller. Précisément, ça m’a montré que même bourré, personne ne veut chanter Time For Heroes avec moi.


La pré-soirée où j’ai appris la note de mon mémoire et où je l’ai jeté par la fenêtre. Ma première prise de conscience que jamais, quoi que je fasse, n’importe quelles études, mon travail ne pourra être accepté par l’establishment.
A Strasbourg, après Garden State, quand j’ai volé une affiche de Chet Baker. Malgré tout, j’avais encore des principes.


La seule et unique fois où je vis Camille Goemans, comme d’habitude, rongé à vie par les remords et pourtant bien conscient que le personnage que j’en ai tiré est beaucoup plus intéressé qu’elle n’aurai jamais pu l’être, quels que soient ses efforts.

Là je confonds les bons et les mauvais souvenirs, non ? Disons que ce sont tous des pierres sur mon chemin, le chemin vers la destruction de l’adolescent qui est en moi. Ça ne me dérange pas plus que ça. Mais si c’est en lui qui réside mes facultés à écrire, rêver, être amoureux, qui y a t’il en l’autre ? L’adulte. L’argent, le travail, la fin qui justifie les moyens ? Plutôt crever. Bien que c’est ce que la société tout entière attend de moi comme elle l’attend de chacun d’entre nous. Peut-être que cet adulte est une coquille vide. Ça expliquerait pourquoi j’ai l’impression d’avoir de nouveau 14 ans et d’être un imbécile. Si c’est le cas, alors tant mieux. A moi d’attendre, attendre que cet esprit s’ouvre, soit prêt à recevoir tout ce que je veux conserver de l’adolescent et tout ce que je veux créer de toute pièce, pour lui. J’y mettrai aussi, allez, ne soyons pas vache, un peu de compétences dans le travail, juste de quoi acheter à manger, des cds, et me sentir à mon avantage.

Je dois quand même parler de deux événements, sans ordre chronologique.

Aux Eurockéennes, le premier soir, alors que j’avais déjà vu Coco Rosie et que j’avais enchaîné ma journée de travail avec ma journée de concert, je me suis senti extenué. Vraiment, à en dormir debout. Quoi de plus naturel, j’étais fatigué. Pour me retaper, je me suis payé une crêpe, j’en ai mangé deux bouchées et je l’ai jeté. Et là, je suis allé m’assoire dans la pénombre. Je ne sais pas ce qui c’est passé. J’en suis ressorti peut-être cinq minutes plus tard, en pleine forme. Je me suis réveillé. J’ai switché. Un clic, et ce n’était plus moi. Un déclic, et l’adolescent, vidé de ses forces, ne pouvait plus maintenir le contrôle de mon corps. L’adulte, tapi dans l’ombre, lui cédait sa place et se proposait de le relayer un peu. Depuis, il n’a jamais voulu céder sa place en retour, et toutes mes interrogations, mes désespoirs et mon ennui ne sont que les dommages collatéraux de la guerre qu’ils se font à l’intérieur de moi.


Et dans cette chasse à la recherche de ma vie, de mon âme, comment ne pas mentionner Paris. La première nuit, ok je l’admets, j’ai pété un plomb. Mais j’étais seul dans une grande ville, j’avais payé cela avec mes économies et je ne savais tout simplement pas quoi faire. Non c’est vrai, je ne connaissais pas le métro et j’étais déçu par la première vision de mon quartier, malgré Montmartre. Pourtant, les signes que j’étais au bon endroit ne manquait pas : croiser Devendra Banhart dans la rue, voir un épisode surréaliste de Lucky Luke où Woody Allen à la vedette, etc. Au fond, c’est vrai quand même : c’était décevant. Pourquoi ? Parce que c’est comme partout. Comme chez moi. Parce que les gens avaient les mêmes têtes, gros durs ou gens normaux. Parce que les filles ne me regardaient pas, parce que les poèmes ne me sautaient pas à l’esprit, parce qu’on ne me dressait pas de couronnes de lauriers, parce que rien n’était gratuit, parce que rien n’était extraordinairement beau, parce que rien n’était exceptionnel, parce que rien n’était magique au premier coup d’œil. Evidemment, j’ai appris à apprivoiser ces sentiments et à voir qu’ils étaient faux. Mais quand on dépense beaucoup d’argents en frais matériels (train, hôtel) de l’argent qu’on a passé des mois à économiser en y pensant, de l’argent qui nous à aider à tenir le coup pendant qu’on travaillait, qu’on voyait tous nos rêves s’évanouir, dévorés par la réalité, ses dents acérées, sa noirceur en expansion, on attend d’être sauvé, d’être arraché à la vie, entrer en Arcadie.



Oh Oh Oh Oh I left something in Paris… L’espoir, peut-être.


Je supplierais, je volerais, j’emprunterais …

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