Sunday, May 15, 2005

Body and Soul



Le truc, c’est que je me suis écroulé sur elle, ou bien l’inverse. Je ne sais plus lequel de nous deux est arrivé en retard. En tout cas, le film avait déjà commencé, les lumières étaient noir, l’écran s’éclairait doucement de blanc dans un assourdissant silence. Cette salle de cinéma était énorme, sans doute près d’un milliers de place, et il a fallu que nous choisissions la même. Je crois bien que c’est elle qui est arrivé après. Je l’ai vu dans l’allée, je l’ai suppliée par télépathie et elle s’est approché, à demi courbée, vers moi, très rapidement, elle s’est assise en regardant l’écran et deux secondes avant de m’écraser, elle m’a senti et à glisser ridiculement sur le siège d’à côté. D’ailleurs, elle l’a immédiatement fait remarqué : « je viens d’être ridicule là, non ? » à voix très basse, pour elle même. Mais je ne pouvais m’empêcher de répondre, en essayant de ne pas la regarder, en essayant de ne pas montrer à quel point j’étais déglingué : « Oui, mais je ne me moquerai pas, promis ». Et une promesse est une promesse, même dans ces temples du pop corn. Le reste du film se déroula sans un mot, j’essayais de l’oublier au mieux, et du reste elle restait discrète, pas de souffle, pas de mouvement, presqu’absente. Le film terminé, les lumières se rallument et la salle au début pleine était déjà déserte. Incompréhensible. Nous partageons notre étonnement par deux ou trois moues. Finalement, je dois commencer à parler, je suppose. Elle rit et voilà.


Dans le bus pour aller voir Last Days, j’aurai juré qu’ils allaient m’accompagner. Cheveux gras et longs, peaux grêlées de grains de beauté, yeux de fumeurs, fringues larges. Et puis non, ils descendent à la patinoire. Pas que j’en ai quoi que ce soit à foutre. Leurs conversations sont vides et ma mâchoire m’élance depuis que le boulot me fait crisser des dents. La séance à déjà commencé. Pas le film. Comme il n’y a plus de monde dans la queue, j’en profite pour draguer la caissière. Trucs habituels des ringards comme moi. Dans la salle, le lendemain de la sortie nationale, dans le seul cinéma de la ville à diffuser le film (quoi qu’il faudrait que je vérifie), je m’attends à la foule, mi teens grunge, mi ex teens grunge. En fait, nous sommes 6. Un couple d’homo, trois adolescentes de 15 ans, et moi. Etrange, n’est-ce pas ? La promo n’a pas marché ? Manque d’information par rapport à la sortie inhabituelle (un vendredi) ? Ou bien un autre cinéma le passerait-il, genre en vf, avec Steve au doublage ? Je n’en sais rien et je dois qu’encore une fois, je m’en fous. Hier soir j’ai loué Ghost World en dvd. Depuis j’ai compris que je n’ai besoin de personne, que mes meilleurs amis sont des choses, et que jamais, jamais, personne ne me plaira. C’est comme ça, je suis un peu Seymour dans Ghost World, un peu Enid aussi. Jamais personne (aucune fille) ne vivra sur ma planète. Je voulais réellement rassurer Enid quand elle était perdue, en larmes, je voulais la faire venir jusqu’à moi, et elle ne m’entendais pas, elle s’en est allé, exactement comme ça ce serait passé si nous nous étions connus. Et durant Last Days, j’ai envie de pisser. Au bout de 10 minutes à peine c’est insoutenable. Des années que je n’avais pu à m’éclipser d’un film. Je n’arrivais pas à rentrer dedans de toute façon. Car Van Sant a inversé son processus, il commence par l’errance, ce qui est très dur étant donné que dans ses deux précédents films, il commençait par mettre en place des boucles d’actions, de comportements, de personnalité, pour ensuite pouvoir créer un sample de notre esprit. Quand je reviens, Blake est toujours face au représentant des Pages Jaunes. Dans ce film, on y rentre vraiment qu’en sortant. Pareil pour toute la trilogie Van Sant. Durant le film, je n’ai fait que penser à moi, à part l’apparition de Kim Gordon et les pièces musicales. A l’inverse, en sortant, je ne pouvais m’arrêter de penser aux films, d’en voir les couloirs dans mon paysage directe. Il faisait clair, un ciel à peine gris, et pourtant il pleuvait. Les arbres étaient verts. Comme dans Last Days. Et je me suis mis à marcher en marmonnant, comme Blake. Je m’arrête, me retourne et regarde quelqu’un s’éloigner. Je n’y peux rien, je suis dans le film. A l’arrêt de bus, je n’arrive même pas à réagir, à sourire, aux propos des adolescentes qui, sans être pathétiques, sont trop verbeuses et vides. Je ne pense même pas à les draguer, c’est dire. De toute façon, comme tout le monde, elle n’était là qu’à l’occasion, pour voir ce film. C’est la même chose qu’à chaque fois. Personne ne vit la musique, le cinéma, les livres. Ce sont des choses qu’ils font à l’occasion, pour se détendre, ils vont dans les salles quand un film les attirent, ils lisent des livres quand on en a parlé à la télé, etc. Ils ne vivent pas la salle comme une extension de leur chambre, ils ne la fréquentent pas, ils n’essayent pas de créer un arrière plan à leur lecture, la musique leur rentre dans les oreilles, mais ils ne la respirent pas. Leurs vies c’est le travail, le sport, la famille, les vacances, les fêtes. Choses que je ne peux essayer de pratique, ni même de comprendre. Bon Last Days reste une déception, pas assez innovant à mon goût, pas assez casse gueule. Malgré tout je comprends pourquoi nous n’étions que 6, et j’en suis très satisfait. J’y retournerai.




Ça fait maintenant presqu’un mois que nous sortons ensemble. Elle est habillé d’un tricot noir, d’une chemise noire, et sa peau est très foncée (ça je crois que ça vient d’une photo de B., mais je peux me tromper). Nous sommes de nouveau dans ce cinéma, traînant dans les couloirs en entendant que la séance ouvre. Chose vraiment perturbante, j’entrevois des poils sur sa poitrine. Des vrais poils. J’en suis étonné, pourtant je devrais la connaître assez pour avoir eu connaissance de ça. Je ne suis pas effrayé, mais je trouve ça dégouttant, et pourtant ça ne me dégoûte pas. On s’assoit au dernier rang, les lumières s’éteigne, et au lieu d’un film projeté, c’est la ville que nous voyons en dessous de nous, comme je peux la voir depuis la fenêtre du café Mozart sur la Place de la Réunion. Nous regardons les gens passés. Je glisse ma main dans sa culotte et je lui dis « je t’aime ».
[Echo : dans une galerie marchande bondée de gens, quelqu’un dit « c’est plein de courants d’airs ici ». Exactement. ]


Je suis toujours totalement exalté par cette magie joyeuse et gratuite : comme l’année dernière à la même époque, toutes les idées pour mon nouveau roman m’arrive à la suite. C’est incroyable, j’avais le thème, comme je l’avais pour Champs Elysées/Les Narcisses et maintenant tout prend forme, les perles s’enfilent. L’année dernière, j’ai eu l’image de la fin de Champs Elysées dans le bus en me rendant à l’IUT, je peux encore me rappeler le regard interrogateur d’une fille qui me regardait gribouiller mes idées dans mon carnet. Cette année, je l’ai eu rentrant du boulot, dans le bus vide de la boite. Les choses se reproduisent, en mieux. Un peu plus tôt même. Tout ça pourquoi ? Je n’en sais absolument, je sais juste que j’ai une chance énorme.

Avec Ghost World, j’ai vraiment découvert le fantasme d’une fille de mon âge. Enid. Pas comme Charlotte ou Clémentine, plus âgées, plus éloignées. Non, Enid j’aurai pu la croiser dans le couloir d’un lycée et me demander qui elle pouvait bien être. Je l’ai peut être fait d’ailleurs, et aurai-je pu imaginer qu’elle dansait sur du vieux rock hindou ? Si j’avais su, si j’avais su, moi qui fait ça sur mon balcon.

Enid, c’est un requin jaguar. Je pense à elle quand j’écoute Sigur Ros.
Il y cette fille, qui m’est apparu lors de la visite de l’usine et qui s’est immédiatement retrouvé dans mes diées pour « Manuel de Cristallographie », mon nouveau roman. Autre l’idée stylistique que l’interaction entre elle et l’usine m’a inspiré, c’est son comportement, et là on ne parle plus de littérature, ou peut être si, qui m’a intrigué. Elle restait à l’écart, toute seule, elle regardait les installations, fascinée, mais pas faussement passionnées comme les autres visiteurs. Je l’avais prequ’oublié quand j’ai vu la nuque et la veste d’une fille en ville. Je me suis dit « Wahou » et je ne sais pas pourquoi. Ces deux simples choses ont fait écho à d’autres en moi. Je suppose que je l’assimile à B., pour un truc bête, parce qu’elle ressemble à une fille du lycée qui s’appelait Blandine. Reste son comportement intriguant, intéressant. J’essais de la suivre en avance. Et ça marche une fois, je la croise complètement, elle me reconnais vaguement, me sourit. Je dois absolument la revoir, essayer de voir si sa solitude, son mutisme, sont vrais. Je dois avoir son adresse, savoir si elle habite Breck Road, et sinon, sur quelle planète.



A la télévision, le festival de Cannes. Sur toutes les chaînes, les seules images sont quelques fragments de montées de marches, de cérémonies. On ne parle pas cinéma. Sur Canal +, c’est mieux, mais je n’arrive pas à rentrer dans le dispositif du « Grand Journal », ceux qui ont le plus de temps de parole sont les moins compétents, les reportages sont de la même teneur que les autres chaînes, il n’y a pas de direct sur les marches, et les invités sont français et sans rapport avec le festival. Que dire. Heureusement, dimanche midi, le journal du cinéma est beaucoup mieux. Pas parfait mais bon. On fait plus qu’apercevoir Woody Allen, Michael Pitt. On voit même un extrait du concert de Pagoda. Alors je retrouve mes sensations, celles de chaque année, chaque festival, l’étrange douleur de louper quelque chose, quelque chose d’important, d’être submergé, de tous côté, par le manque. Quand bien même j’y serai à ce festival, ce serait pareil : trop de films à voir, de gens, d’idoles, d’amis en pellicule, de monde et aussi d’imbécile. J’étoufferai, trop entouré. Ou je vivrai à fond l’instant. Mais quoique je puisse faire, il y aura toujours des rendez vous ratés.

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