Sunday, May 15, 2005

Turn !Turn !Turn !



Revenons en au meilleur instant : je suis assis contre la fenêtre du salon de thé, je lis les Chroniques de Bob Dylan, un stylo en main, juste avant de reprendre du thé pour la quatrième fois.

Par cette fenêtre on peut voir défiler l’entière population de la ville. Tous les visages qui s’animent en contrebas ne font que passer vers d’autres lieux auxquels ils pensent déjà.

Le thé est servi dans la théière bouillante, accompagné d’un bâton de miel séché, et d’une tasse vaguement asiatique. C’est amusant, joli. Ça me plait. Je venais tous juste d’acheter Libération sur la couverture duquel trônait Peter. Un tel sacrement signifie que ce visage là sera stocké dans les archives des bibliothèques, et que pour au minimum les 30 prochaines années à venir, il dormira dans chaque ville de France. Peter peut mourir demain, il vient d’accéder à l’éternité, aussi confinée, confidentielle, soit-elle. D’ailleurs, plus elle l’est, mieux ce sera. Notre éternité à nous, la République Invisible. Pas celle des autres.

Je lis, souligne, et gribouille des phrases dans mon tout nouveau carnet de note (titré : « la mémoire des faits imaginaires »). Tout ça me donne beaucoup d’idées pour mon prochain roman. Pas que j’aime spécialement Dylan (même si Ballad of a Thin Man…), mais son livre est magnifique, et le sous entendu, à savoir la dénonciation, à travers l’ellipse, de l’inexistence de Dylan en tant qu’être humain au profit d’une construction mentale, est exactement ce dont j’ai besoin pour motiver mon imagination. J’ai également acheté la bande originale du livre, parce que je ne pouvais que rendre hommage à celui qui a eu la même idée que moi et qui, lui, a réussi à la concrétiser.

Je sais bien que je dois attirer le regard de quelques uns des richards qui composent l’entière clientèle du salon de thé. Le petit gosse d’appartement qui trône à la fenêtre, l’air absorbé et créatif, c’est moi. Et je dois dire qu’en me regardant dans la glace juste en face de moi, je me trouve plutôt splendide. Cela est dit.

Comme la théière est pleine en arrivant, on peut au moins se servir cinq ou six tasses de thé. Je n’ai déjà plus de miel pour sucrer après la troisième tasse. Et vouloir finir la théière quand même ne fait que dégrader mes sensations. Après 60 pages des Chroniques, j’abandonne l’idée de voir quelqu’un me taper sur l’épaule et me dire « Oh, tu lis ça ? Et qu’est-ce que t’écris ? ». Discrètement, je remplace cette idée par celle de revenir la semaine prochaine dans les mêmes conditions. Je suis presque sûr d’avoir réussi à ne pas me rendre compte de la substitution. J’ai acheté tellement de cd’s et de livres que mes sacs me font mal à la main sur le chemin du retour.

Aujourd’hui, je trouve dans mes notes « Tout à propos d’une après-midi charmante disparaît au profit d’une immense tristesse sans raison, écoutant Jon Brion, la mémoire des faits réels disparue, ne laissait que le puissant goût de l’amertume » (écrit en rentrant du salon de thé), et tout est dit.
C’est comme ça depuis exactement quatre semaines. Je fais des choses, je les oublie. J’oublie les jours et les rêves, j’en arrive même à oublier les choses que je suis sur le point de faire, à oublier leurs conséquences. Je me retrouve dans la situation de mes 16 ans, je refais des choses horribles, ou bien seulement honteuse. Je ne sais pas. Je suis perdu bien sûr, et je ne peux rien y faire. C’est un passage obligé, comme un premier poing dans la gueule ou la première fois au pieux. Les choses se passent, je n’en ai pas le contrôle, mais je surnage pourtant. Je suis en stage. Au minimum 39 heures par semaines. Sans compter les heures où le soir, le week end, je ne peux rien faire, tétaniser par l’absence. Absence de repère, d’expérience, d’intérêt, de repos, de force, d’espoir, de talent, de conviction, d’envie. Ce qui ne manque pas, c’est l’argent. Alors pour profiter de ce long week end de quatre jours, je dépense des centaines d’euros en biens de l’esprit. Si je dis tout ça, c’est bien sûr que le blog est un exercice magique, qui pense toute plaie, qui fertilise toute graine.


En écoutant « Light and Day » des Polyphonic Spree, dehors, au casque, je repense au clip, au fait qu’Eternal Sunshine est le plus grand film de tous les temps (avec les autres) et que je ne m’en étais pas forcément aperçu tout de suite. C’est ça qui est splendide, savoir que le film est attendu, qu’il est de Charlie Kaufman, que c’est un chef d’œuvre, et en ressortir avec un sentiment inconnu et nouveau, qui ne se révélera être un bonheur immense que quelques mois plus tard, quand il aura enfin réussi à percer les dernières défenses de votre métabolisme. Je pense aussi à Blandine, à ce que je lui avait dit au téléphone, « Ne t’en fais pas, je vais t’effacer de ma mémoire comme Joël efface Clémentine dans Eternal Sunshine -Mais non, ne fais pas ça répond elle en riant ». Et cette phrase, je la prononce de tous mon cœur, les larmes aux yeux, la voix faible, mais au fond de moi quelque chose guide les mots très consciemment dans le simple but de voir si elle comprendra la référence, si elle connaît le film, si je venais effectivement de perdre la seule chance de ma vie d’être heureux avec quelqu’un. La réponse était oui bien sûr, c’est pour ça qu’il y eut plus de larmes, après.

Quant à mon nouveau roman, son titre est : « Manuel de cristallographie ». Le plus difficile sera d’être assez inventif pour capturer la violence, le sordide, le sadisme, le masochisme, l’anecdotique et en tirer en même temps de l’amour et de la simplicité, deux valeurs dont j’ai du mal à me détacher. Après avoir vu Locataires, de Kim Ki Duk, je pense qu’il est beaucoup plus facile de faire de la provocation que de rivaliser avec la beauté incroyable de ce film. Donc je vais essayer la provocation, tout simplement parce que la facilité et moi sommes deux vieux amis, parce que j’ai 4 semaines de moi à mes vacances d’été, donc quatre semaines de moins à écrire ou à me préparer à écrire. Pour l’instant, je n’en dis pas plus sur le projet, j’en garde la primeur pour ma Mémoire des faits imaginaires.

D’ailleurs, pourquoi est-ce que j’écris tout ça ici, et pas dans ma Mémoire. Il y a dedans 280 pages blanches qui attendent d’être écrites. Peut-être parce qu’ici j’ai encore l’espoir d’être lu. De croiser à nouveau le regard de Blandine, ou d’une Blandine, sentir ses yeux dévisager mes mots comme elle me dévisagerait, sourire et rire comme elle me rirait, pleurer ouvertement au lieu de doucement tourner la tête pour que je ne la vois pas. J’espère encore et encore. J’espère trouver des idées pour remplir tout de même quelques pages de ma Mémoire ce soir. J’espère avoir de la chance. J’espère que Mai est magique pour moi. J’espère que mon téléphone, ma boite mail, puisse s’animée de simplicité, de pardon. J’espère que la magie de l’an dernier se reproduise. Et dans ce cas-là, j’espère ne plus jamais voir la fin de Mai.

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