I'm so lonely I could...
Nouveau Blog : Beg / Steal / Borrow
Je dois retrouver ma vie. Comme un drogué, comme un imbécile, comme un vieillard. Je supplierais, je volerais, j’emprunterais pour ça. Bien sûr, avant, je dois savoir où je l’ai perdu.
Avec :
Pete Dohety as La BêteKate Moss as La Belle
Mick Jones as La Mort
General Santa as Le Diable
Tout d’abord, un poil de sémantique : qu’est-ce qu’une tragédie ? Pour Aristote, c’est un genre dramatique censé inspirer chez le spectateur terreur et pitié ;son protagoniste doit posséder un défaut tragique, qu’il appelle la " faute ". Enfin il considère que la tragédie doit représenter les actions d’hommes nobles ( la rock star) par opposition à la comédie qui s’intéresseraient aux hommes bas. Pour définir la tragédie, Yves Lavandier garde deux éléments : l’exercice du libre arbitre du personnage et la présence d’un défaut tragique (aussi appelé obstacle interne au protagoniste).
Je me suis allé longtemps posé la question de comment j’allais présenter l’étude de " Down in albion " pour qu’elle soit compréhensible de tous. Déjà, il est nécessaire de l’avoir écouté plusieurs fois, de lire mon texte avec le livret et le cd et de ne pas hésiter à relire plusieurs fois l’analyse, après une première lecture, après une nouvelle écoute, etc. Nous allons commencer par évoquer le contexte et les références de l’œuvre avant d’effectuer une analyse titre par titre qui permettra de mettre en évidence une trame pour enfin tirer des conclusions et noter les questions en suspens.
Différents thèmes impregnent le disque de part en part : l’amour (" fuck forever ", " in love with a feeling ", ...), la mort (les nombreux " death on the stairs " …), l’enfer (" what katy did next ") et le mot " down " qui veut dire en bas, au plus bas et en dessous (" down in albion ", " pipedown ", …). Peter Doherty lui-même décline le cd en trois partie, la première étant la rencontre de la Belle et la Bête, puis la Bête est punie et va en prison, et dans la troisième partie, quelque chose d’autre arrivent. En recoupant les éléments, il est très facile de tirer des lignes directes depuis La Divine Comédie de Dante, Faust de Goethe et Orphée de Jean Cocteau. Dans la Divine Comédie, Dante va en Enfer, puis au Purgatoire et au Paradis, guidé par son amour perdu, Béatrice. Dans Faust, le protagoniste fait un pacte avec le diable lui assurant créativité et longue vie. Dans Orphée, le poète est obligé de se rendre là où siège la Mort pour récupérer l’âme de sa femme. Ces œuvres étaient citées sans arrêts plus ou moins directement dans Down In Albion (la référence à Cocteau du premier titre par exemple), c’est à leur relecture post-moderne que je convie le lecteur.
La Belle et la Bête
C’est la scène d’exposition, celle où les personnages sont présentés et se rencontrent. Un garçon (la Bête) et une fille (la Belle) tombent amoureux. Déjà quelque chose cloche, un détail fait changer les comportements ( " Conversation turn devil " ) et de la même façon, quand la Belle se regarde dans le miroir (" Is she more beautiful than me "), la voix de la Bête intervient et la coupe même (" Beautiful ") de la même façon que la " conversation turned devil " plus tôt et le " me " de la Belle se transforme en " She " de la Bête, une entitée indéfinie, une instance féminine surgit peut-être du passé.
Fuck Forever
Le couple s’aime, baise, pour toujours pensent-ils. La chanson est toute en éructation orgasmique, en non-sens flottant au-dessus du lit nuptial et les riffs de guitare évoque une activité sexuelle débridée.
A’Rebours
Etendus sur le lit, ils se racontent et déjà le tableau s’assombrit. Bientôt, ils se font des promesses d’enfants, des promesses dans le sang.
The 32nd of December
A peine commencent-ils à avoir des remords que déjà ils décident de ne plus abord les sujets difficiles d’A Rebours (" Speak but don’t talk about it "). Toujours étendus, le sommeil se fait de plus en plus pesant, ils essayent de se connaître sans évoquer le passé et finissent par s’endormir tout en parlant (la voix de la Bête sur la dernière phrase, le dernier " do " qui s’éteint. )
Pipedown
La chanson ressemble à une fièvre. Les mots s’enchaînent, font des phrases qui n’ont pas forcément de sens qui font des couplets qui n’ont pas forcément de sens. La Bête dors et cauchemarde, elle s’enfonce de plus en plus dans les visions horribles et finit par tomber dans un trou sombre qui l’emmènent loin (" it’s an underground trap, underworld trap). On comprend que, comme l’explique le titre, la Bête s’enfonce, elle va " down ", donc " down in albion ", sous Albion, sous la terre, aux Enfers.
Sticks and Stones
La Bête se retrouve à la fin de tout (les Enfers) et c’est de là que son périple commence (" we’ll begin at the end so far away down "). Nous comprenons que la Bête traverse le fleuve Styx (le " Sticks " de " Sticks & Stones ") sur la barque du Passeur, ce dernier siffle une étrange chanson, derrière eux le Soleil du monde réel s’éloigne et le Passeur lui conseille de ne pas le regarder (" don’t look back into the mother fuckin sun "). Finalement, ils arrivent sur la rive des Enfers, le Passeur repart et laisse la Bête pénétrer seule le Royaume.
Killamangiro
La Bête se réveille aux Enfers, autour de lui des gens sont enfermés dans des cages suspendus, ils l’invectivent, lui demande de l’argent, puis se lamentent de leur condition (" why would pay, to see me in a cage "). Le premier péché que croise la Bête est donc l’avarice.
8 Dead Boys
La Bête rencontre 8 garçons morts qui parlent entre eux. Leurs visages sont grêlés (" you look better now than the last time "), ils s’engueulent, remettent en cause leur amitié (" when it suits you you’re a friend of mine "), se plaignent de leur déchéance (" the life (light) that you wanted was not in store ") et d’être aux Enfers (" so you’ll be in the dark once again ").
In Love With A Feeling
Toujours visitant les Enfers, la Bête pense à son amour pour la Belle et devant lui apparaissent toutes les perversions. C’est de ce sentiment, la perversité, que la Bête commence à être amoureux, et en même temps que ce sentiment se propage en lui, un homme étrange attend (" there’s a odd man on the stairs ") et l’observe, tout en s’approchant de plus en plus au fur et à mesure que les fantasmes de la Bête prennent corps.
Pentonville
A bout milieu de ses scènes de péchés la silhouette sombre se découvre. C’est le diable, c’était lui dans les escaliers (In Love With A Feeling). Il prend la parole et présente ses enfers et leur fonctionnement. Vers la fin, il montre qu’il peut imiter la voix de n’importe qui et pour l’impressionner, prend celle de la Bête.
What Katy Did Next
Le diable continue à parler avec la voix de la Bête. Il s’agit de lui sans aucun doute possible puisqu’il nomme son Royaume (" hell hath no fury ") et seul le Diable a une vie qui peut tuer quelqu’un quand on la raconte (" I’ll tell you my story it’ll make you wish you’d never been born ", à ce sujet, voir le mythe de Lucifer). Il lui propose un arrangement, il veut parler à sa place à la Belle (" I’ll tell her you love her ") et on comprend qu’il s’agit d’un pacte donnant-donnant. La diable veut la Belle rien que pour lui, de toute façon, l’amour de la Bête n’est pas réciproque (" for your love to be true, it must come from her too ") mais il veut bien lui passer des messages, et de toute façon, bientôt, elle ne lui manquera même plus (" You won’t be missing her soon ").
Albion
La chanson commence avec le bruit inconnu d’un mécanisme non identifiable, peut-être un moteur. La Bête est de retour sur terre et traverse de nombreux paysages ( la litanie des villes). Dans les chœurs, on reconnaît la Mort et le Diable qui dressent un parallèle entre le monde réel (" Anywhere in albion ") et les Enfers (" Down in albion "). La chanson se termine comme elle a commencée, avec un bruit de moteur.
Back From The Dead
Dès le début, on identifie ce qu’étais le moteur dans " Albion ", les petits bruits aigus qui commencent back from the dead sont les freins d’un train à vapeur, les " oh oh " sont les lâchés de vapeur et le rythme de la chanson évoque celui, circulaire, du mécanisme qui actionne les roues. Ce vieux train, qui fut électrique dans " Albion ", est celui, intemporel, qui ramène de la mort et annonce le retour de la Mort. A la fin, les sifflements du train se transforment en derniers cris des animaux nocturnes. Le matin approche. La Bête est revenue de la mort.
Loyalty Song
La Bête se réveille au côté de la Belle comme il s’y était endormi. Il évoque son passage aux Enfers, le remet en question et finalement le considère comme un rêve. C’est peut-être le passage le plus primesautier du disque, celui où la Bête savoure le plus d’être avec la Belle. Alors pourquoi de titre ? Sans aucun doute il s’agit, inconsciemment de la loyauté envers le Diable et le pacte qu’a signé la Bête.
Up The Morning
La mort (Mick Jones) susurre à la Bête de se lever(" Up the morning " et le passage sur " Death into the stairs "). C’est la fin du bonheur qui n’aura duré qu’une chanson. Se lever, ça veut dire perdre à nouveau le contrôle et se soumettre à la volonté du diable.
Merry Go Round
C’est le Diable qui introduit la chanson dans le premier couplet. Il parle d’un amour incontrôlable et partagé, contrairement à dans What Katy Did Next. Très vite, la pièce se met à tourner (" How Merrily we go round ") et quand enfin tout se calme, la Bête se releve comme si elle avait dormi depuis longtemps (" like a lord in a bath for days ") et le Diable lui conseille de prendre l’air afin de retrouver des couleurs et de se remettre de la scène monstrueuse qui vient de se passer (" You should get some sun on you face "). La Bête quitte la scène. C’est au Diable de conclure et il nous révèle peut-être quelque chose sur la nature du pacte qu’il a passé avec la Bête (" I’ve been so good to that boy why did I steel all my lighters ? "). La Bête aurait pris le feu du Diable, le pacte était un passage de témoin. Désormais, le Diable, c’est la Bête.
Récapitulons : Down In Albion est l’histoire d’un garçon, la Bête, qui pour aimer la promise du Diable(la Belle) se retrouve aux Enfers, et désespéré d’en sortir, il finit par vendre son âme et de retour sur terre, offre la Belle au Diable.
Ce n’est pas une version définitive, c’est pour le moment la meilleure retranscription de ce que représente chaque chanson, et je sais qu’avec un peu plus de temps et d’acharnement de ma part, cette trame sera totalement clarifiée.
Comme nous venons de le voir, chaque chanson a sa place dans le développement du récit de Down In Albion, les critiques qui taxent l’album d’être trop long ou d’avoir des chansons faibles ne sont pas justifiées. Le titre même, Down In Albion, évoque quelques chose comme Low And Down In Albion, les hauts et les bas en Albion, en portant l’accent sur les bas, tandis qu’on peut aussi identifier ce titre comme un nom pour les Enfers, sous Albion. Ce qui frappe dans ce récit, c’est l’absence de Dieu. Il est absolument inexistant alors que la Mort et le Diable ont le beau rôle. Dans ce disque, il n’y pas d’espoir, contrairement à la Divine Comédie de Dante et on peut se demander si l’album aura des suites qui passeront par le Purgatoire et le Paradis ou bien si, comme dans les histoires de vampires, le royaume de Dieu n’existe pas, ou tout au moins, ne se manifeste pas autrement que par ses échecs.
A ce sujet, il serait possible de voir la couverture de l’album comme l’image de Dieu, assit seul, endormi ou mort, au milieu de son Royaume abandonné par la vie. A moins qu’il ne s’agisse de Cerbère, le chien qui garde l’entrée des Enfers. A moins qu’il ne s’agisse de la Bête, piégé dans ces même Enfers.
D’autres questions restent en suspens :
Qui est la Belle ? une prostituée ?
Qui est la Bête ? cerbère ?
Quelle est la nature précise du pacte passé entre la Bête et la Belle ?
Comment et pourquoi la Bête est arrivé aux Enfers sans passer par la Mort ?
Qu’arrive-t-il à la Bête après Merry Go Round ?
Que signifie ce " She " ? albion ?
Des hypothèses seront développées plus tard, en même temps que l’analyse des thèmes sera étendue. En attendant, pour être prêts, relisez cet article et réécoutez l’album, normalement, tout devrait prendre sens.
"Qu’est ce que la musique ? Non, plutôt, qu’est-ce qu’une chanson (parce qu’il faut bien s’avouer que ce n’est pas pareil) ? C’est un petit trou de serrure sur lequel l’auditeur plaque son œil . Pour satisfaire son plaisir, un spectacle se déroule sous ses yeux, il peut rester des heures à le regarder en fantasmant que la porte va s’ouvrir. Tout le monde connaît ses maisons, celles dans lesquels on aime flirter avec les murs, parce qu’on sait que ce qui se trouve derrière correspondra à nos attentes. Quand dans mes moments de lucidité, je m’observe et j’observe les autres, je comprends que nous avons érigé ça comme un mode de vie ici à Londres. Tout n’est que chansons, nous sommes tous des chansons. Nous ignorons notre conscience car nous ne pouvons pas la supporter. Londres fonctionne ainsi, ses artères bercent les nuits de chansons depuis quarante ans, sur la sono des pubs, j’ai toujours l’impression d’entendre une de mes compilations persos et si ce n’est pas le cas, je sors ma guitare de son étui. et je la joue.
Et c’est vrai que dans cet environnement, je suis plus prolifique que jamais. Le carrousel et sa musique vont de plus en plus vite, tous les soirs nous jouons, passés les premiers engagements, nous nous sommes retrouvés dans des petits pubs, et puis nous nous sommes fait remarquer encore et encore, de premières parties en affiches de salles lugubres. Une semaine s’est écoulée ou beaucoup plus, je n’en sais rien, je préfère oublier, je suis une chanson. Je ne retiens rien. Je suis le même. J’ai de l’esprit pendant 2 minutes 30 et ensuite, je recommence. Je suis brillant. Les gens m’embrassent. Je suis beau quand je pleure. Alors je n’ai rien d’humain. Je suis autre. Les anglais aiment la débauche alors les Narcisses leur en donnent. Je n’aurai jamais vraiment cru y prendre plaisir. D’ailleurs, ce n’est pas le cas 50% du temps. Les autres 50%, je suis en sueur, torse nu, agrippé par une guitare, je bois pour avoir de l’énergie et quand l’instrument n’est plus là, quand on me l’a enlevé pour le débrancher et laisser la place au groupe suivant, je titube, j’oublie mon existence, ma tête tourne si vite que je m’accroche à la première jeune fille qui croise mon regard et je la garde jusqu’à la fin de la nuit. J’ignore leur excuse, mais les autres garçons et filles font pareil. A aucun moment, plus jeune ou plus tôt dans la soirée, je n’ai voulu que ça arrive. Simplement, ce sont les évènements qui se déroulent. Le monde réel ne me manque pas. Camille me manque. J’aurai cru pouvoir passer ma vie entière dans ses bras, à ne rien craindre, à l’aimer, aujourd’hui je voudrai pouvoir jouer ma musique rien que pour elle, lui susurrer les mots qui ne parlent qu’à elle ;elle a disparu, elle a explosé dans l’air, moi je n’ai plus que mes chansons, tout ce qui reste d’elle, tout ces portraits que je veux jouer si fort qu’elle puisse prendre vie à nouveau et apparaître devant moi, sur scène, en chair et en os, faisant ainsi disparaître les milliers de spectateurs inconnus dont elle prendrait la place.
Je sais bien que ça n’arrivera pas et, comme des milliards de personnes qui se lèvent chaque matin, je fais semblant pour avoir la force de continuer. Les comportements de ce genre, je les repèrent tellement facilement. La nuit dernière, j’avais gardé assez de lucidité pour prendre conscience de la tristesse de ceux qui m’entouraient quand les regards ont commencés à se croiser, quand les mots sont devenus poésie et que les mains se frôlaient, touchaient une épaule, une bouche, des cuisses. Tristan embrassaient une anglaise couverte de taches de rousseur qu’on avait rencontré à la fin de notre set acoustique dans le métro le soir même vers 19 heures et à ce moment-là, j’ai compris que c’était le constat d’un double échec. Enfin, nous, lui, eux, moi, ils, elle, c’est-à-dire Les Narcisses, passions aux aveux : ces baisers lancés à la curiosité criaient que nous avions perdu tout espoir en l’existence d’une âme sœur et que nous étions incapable de changer le monde. D’ailleurs, une nuit a passée, et c’est toujours le cas (comme en suis-je venu à utiliser de l’imparfait ? le contenu fait sens, peut-être). L’on en revient au début, puisque c’est le sens des chansons. Elles existent pour rendre beau le fait que l’amour n’existe pas et pour nous faire oublier le reste. Les restes. Nos vies ne sont rien comparés à ces soi-disant restes. Les restes sont tout. 6 milliards d’êtres humains, une bonne part qui souffre le martyre, qui meurt de fin, de maladies, et qui meurt tout court. Aucune chanson (devrai-je précise, aucune bonne chanson) ne peut parler de ces restes. J’ai pourtant essayé. Une chanson élude, une chanson ferme les yeux et oublie. Alors que faire ? L’horreur existe, sur cette terre, elle est même majoritaire. Faut-il oublier ? Faut-il en avoir conscience ? Parce que non, c’est une certitude, nous ne pouvons rien y faire. Qu’est-ce qui est le mieux ? Savoir sans pouvoir ou espérer pouvoir sans savoir. Je n’en sais rien, je suis une chanson, je ferme les yeux et oublie. "
Extrait des répétitions du Manuel de Cristallographie