Monday, February 20, 2006

I'm so lonely I could...

Nouveau Blog : Beg / Steal / Borrow

Thursday, February 16, 2006

Beg / Steal / Borrow

Je dois retrouver ma vie. Comme un drogué, comme un imbécile, comme un vieillard. Je supplierais, je volerais, j’emprunterais pour ça. Bien sûr, avant, je dois savoir où je l’ai perdu.

L’année dernière. Ça c’est sûr. Plutôt au début d’ailleurs. Et puis quand j’y pense, c’est étrange, parce que sans ma vie, j’ai tout de même écrit le Manuel de Cristallographie, soit ma meilleure œuvre à ce jour. L’aurai-je perdu tout de suite après, ou en l’écrivant ? Je pourrai dire que l’écrire m’a vidé, que le livre m’a emprunté ma vie et que c’est exactement pour ça que j’attends avec angoisse les réponses des éditeurs, parce que j’attends simplement qu’ils me rendent ma vie. C’est tentant, mais ce serait oublié quelque chose d’important : mes quatre mois de travail l’année dernière.

Forcément, même sans y penser, je sais que c’est bien ça la principale cause de la disparition de ma vie. Pourtant, j’ai vécu de belles choses, très importantes, pendant que je travaillais : aller à Strasbourg pour voir Garden State, cette soirée spéciale DIG ! où j’ai vu Camille Goemans, voir In The Mood For Love en plein air tout en dégustant un milk-shake fraise, aller à Paris, rencontrer Coco Rosie aux Eurockéennes, me baigner en plein orage. Essayons de trouver les différents moments où la carapace s’est brisé.
La soirée en janvier 05 où je me suis pris une si grosse cuite que je me suis retrouvé à chanter presque nu sur une scène. Pas terrible, pas spécialement gratifiant mais bon, ça peut encore aller. Précisément, ça m’a montré que même bourré, personne ne veut chanter Time For Heroes avec moi.


La pré-soirée où j’ai appris la note de mon mémoire et où je l’ai jeté par la fenêtre. Ma première prise de conscience que jamais, quoi que je fasse, n’importe quelles études, mon travail ne pourra être accepté par l’establishment.
A Strasbourg, après Garden State, quand j’ai volé une affiche de Chet Baker. Malgré tout, j’avais encore des principes.


La seule et unique fois où je vis Camille Goemans, comme d’habitude, rongé à vie par les remords et pourtant bien conscient que le personnage que j’en ai tiré est beaucoup plus intéressé qu’elle n’aurai jamais pu l’être, quels que soient ses efforts.

Là je confonds les bons et les mauvais souvenirs, non ? Disons que ce sont tous des pierres sur mon chemin, le chemin vers la destruction de l’adolescent qui est en moi. Ça ne me dérange pas plus que ça. Mais si c’est en lui qui réside mes facultés à écrire, rêver, être amoureux, qui y a t’il en l’autre ? L’adulte. L’argent, le travail, la fin qui justifie les moyens ? Plutôt crever. Bien que c’est ce que la société tout entière attend de moi comme elle l’attend de chacun d’entre nous. Peut-être que cet adulte est une coquille vide. Ça expliquerait pourquoi j’ai l’impression d’avoir de nouveau 14 ans et d’être un imbécile. Si c’est le cas, alors tant mieux. A moi d’attendre, attendre que cet esprit s’ouvre, soit prêt à recevoir tout ce que je veux conserver de l’adolescent et tout ce que je veux créer de toute pièce, pour lui. J’y mettrai aussi, allez, ne soyons pas vache, un peu de compétences dans le travail, juste de quoi acheter à manger, des cds, et me sentir à mon avantage.

Je dois quand même parler de deux événements, sans ordre chronologique.

Aux Eurockéennes, le premier soir, alors que j’avais déjà vu Coco Rosie et que j’avais enchaîné ma journée de travail avec ma journée de concert, je me suis senti extenué. Vraiment, à en dormir debout. Quoi de plus naturel, j’étais fatigué. Pour me retaper, je me suis payé une crêpe, j’en ai mangé deux bouchées et je l’ai jeté. Et là, je suis allé m’assoire dans la pénombre. Je ne sais pas ce qui c’est passé. J’en suis ressorti peut-être cinq minutes plus tard, en pleine forme. Je me suis réveillé. J’ai switché. Un clic, et ce n’était plus moi. Un déclic, et l’adolescent, vidé de ses forces, ne pouvait plus maintenir le contrôle de mon corps. L’adulte, tapi dans l’ombre, lui cédait sa place et se proposait de le relayer un peu. Depuis, il n’a jamais voulu céder sa place en retour, et toutes mes interrogations, mes désespoirs et mon ennui ne sont que les dommages collatéraux de la guerre qu’ils se font à l’intérieur de moi.


Et dans cette chasse à la recherche de ma vie, de mon âme, comment ne pas mentionner Paris. La première nuit, ok je l’admets, j’ai pété un plomb. Mais j’étais seul dans une grande ville, j’avais payé cela avec mes économies et je ne savais tout simplement pas quoi faire. Non c’est vrai, je ne connaissais pas le métro et j’étais déçu par la première vision de mon quartier, malgré Montmartre. Pourtant, les signes que j’étais au bon endroit ne manquait pas : croiser Devendra Banhart dans la rue, voir un épisode surréaliste de Lucky Luke où Woody Allen à la vedette, etc. Au fond, c’est vrai quand même : c’était décevant. Pourquoi ? Parce que c’est comme partout. Comme chez moi. Parce que les gens avaient les mêmes têtes, gros durs ou gens normaux. Parce que les filles ne me regardaient pas, parce que les poèmes ne me sautaient pas à l’esprit, parce qu’on ne me dressait pas de couronnes de lauriers, parce que rien n’était gratuit, parce que rien n’était extraordinairement beau, parce que rien n’était exceptionnel, parce que rien n’était magique au premier coup d’œil. Evidemment, j’ai appris à apprivoiser ces sentiments et à voir qu’ils étaient faux. Mais quand on dépense beaucoup d’argents en frais matériels (train, hôtel) de l’argent qu’on a passé des mois à économiser en y pensant, de l’argent qui nous à aider à tenir le coup pendant qu’on travaillait, qu’on voyait tous nos rêves s’évanouir, dévorés par la réalité, ses dents acérées, sa noirceur en expansion, on attend d’être sauvé, d’être arraché à la vie, entrer en Arcadie.



Oh Oh Oh Oh I left something in Paris… L’espoir, peut-être.


Je supplierais, je volerais, j’emprunterais …

Wednesday, February 15, 2006

Can’t stand me now



Chers lecteurs, j’ai deux grandes nouvelles à vous annoncer :

- je suis au bord de craquer
- vous n’existez pas.

Dans ce cas, pourquoi écrire. Et si j’écris, pourquoi ne pas l’avoir fait depuis tellement de temps. Depuis que nous sommes en 2006 en fait.
Je ne sais pas. Je rentre d’un bistrot où en distinguant un verre de blanc et j’ai lu la Ballade de la Geôle de Reading par Oscar Wilde et j’ai simplement l’impression que c’est le moment. Je fais beaucoup de ce genre de choses en ce moment, trouver un lieu pour lire, sortir un bouquin, aller jusqu’au bout, y rester des heures. Sans doute parce que l’année cinéma s’annonce aussi mauvaise que celle qui vient de s’achever. A part, évidemment, les deux merveilles de prévues par Paul Auster, La Vie Intérieure de Martin Frost par l’auteur lui-même, avec Sophie Auster, et le Pays du Bout du Monde, adaptation, avec Eva Green. Soit les deux femmes de ma vie en ce moment. Pourquoi en suis-je revenu à Eva Green d’ailleurs ? On pourrait dire qu’elle ne m’a jamais quitté mais ce serait trop facile. Je crois que c’est à cause de Sophie Auster qui a un peu le même air et aussi parce que j’ai croisé cette fille, dans les escalators de la Fnac, qui m’a immédiatement fait me poser cette question « Pourrai-je l’aimer assez pour aller jusqu’à la tuer ? ». La réponse était oui bien sûr, et si rajoute que j’écoutais en même temps l’opéra de la BO de Match Point, l’affaire est close.

Ebauches de disques de l’année 2005 :
Sophie Auster
Baxter Dury – Floorshow
Babyshambles –Down In Albion
Maximo Park – A certain trigger


C’est comme aujourd’hui, un peu avant de m’installer au bistrot, en sortant de la médiathèque, pas très fier, le dvd de Spinal Tap en main, cette fille rentre d’un pas décidé avec ses cheveux incroyablement châtain, mon regard rencontre le sien et nous attendons le premier à montrer des signes de timidité sans que cela n’arrive, nous restons les yeux dans les yeux le temps de quelques secondes jusqu’à ce que nos chemins font que nos yeux se perdent, une éternité. C’est ce genre chose, et uniquement ce genre de chose, qui me permet de vivre encore. Me dire que quelque part je pourrai vivre quelques temps dans les bras de cette fille. Même si ce n’est jamais ces filles que je côtoient dans ma vie quotidienne, et même si le simple fait de l’entendre parler aurait très certainement fait partir mes espoirs. Quoique, elle a parlé en fait. Pendant que je rangeais le dvd de Spinal Tap dans mon sac et que très discrètement mais pas sans intention je sortais un recueil de Keats le temps de faire de la place, elle parlait et demandait à une employée un dvd dont je n’ai pas pu entendre le titre. La femme lui répondait, je rangeais le recueil de Keats et dans son silence, je reconnaissais ses yeux sur moi.



Est-ce que quelqu’un de normal aurait attendu dehors qu’elle sorte ? Elle n’en avait pas pour longtemps, cinq minutes au plus. Je ne suis pas un homme normal, j’aurai été mort de trac. Et de toute façon ça ne m’a même pas traversé l’esprit sur le moment. J’en ai même honte, là, maintenant, alors que je découvre cet état de fait : je suis un amoureux d’amours manqués. Même si au fond le Manuel de Cristallographie ne parle que de ça.
Si je pouvais retourner dans le temps, échangerai-je mon heure et demi de Ballade de la Geôle de Reading contre cinq minutes à parler avec cette jeune fille ? J’hésite très fortement. Permettez-moi le doute. Maintenant, si la chance vaudrait que j’ai une seconde occasion, je pense que j’essaierai de la saisir.

Dernières œuvres lues :
Tour du monde en 80 jours – Cocteau
High Fidelity – Nick Hornby
Les enfants terribles – Jean Cocteau
La ballade de la Geôle de Reading – Oscar Wilde

Derniers films vus :
La femme est l’avenir de l’homme – Hong Sang Soo
Taste of tea
Le maître du grand judo – Akira Kurosawa



Monday, February 06, 2006

Crevez, vermines


Detective Bureau 2-3

Qu’est-ce qui peut bien faire que j’aime tellement Seijun Suzuki ? Je ne sais pas trop. Il fait un peu partie de ma nouvelle vie, au côté de Wong Kar Wai, Hong Sang Soo, Cocteau, René Crevel, les Smiths. Des éléments un peu bizarre, rentrés sans que je leur demande. Je n’ai eu que deux vies pour l’instant : d’octobre 2003 à Juin 2004 et de Juillet 2004 jusqu’à une date indéfinie. Ma première vie s’est fini de la même façon qu’elle a commencé : un peu dégueulasse, très embrouillée, vierge. Dans cette espace confiné, tout a été bouleversé chez moi : j’ai découvert les films, Lost In Translation, Elephant, j’ai pas mal lu, je n’ai plus pu me débarasser des Libertines. Ma deuxième vie, c’est l’ancrage de l’espoir, puis sa disparition. Toute l’histoire, c’est la bataille désespoir contre espoir et l’on se demande si ce dernier va réapparaître un jour. En y repensant, ça résume bien ce que j’écris : Champs Elysées, Manuel de Cristallographie, c’est ma deuxième vie, Le Poumon, Céline, et ma nouvelle tentative de roman, Nos Nuits Ardentes, c’est ma première vie. Ma première vie, une sorte d’errance, une recherche faites d’expérimentations très bonnes, très mauvaises, qui s’enchaînent, se donnent du sens. Revenons-en au propos de base. Seijun Suzuki est entré dans ma vie sans que je l’attende. Comme toutes les grandes figures de ma deuxième vie, j’ai d’abord était vaguement intéressé, puis plutôt lasse, très attiré, jusqu’à ce qu’elles fassent partie de moi. Mais c’est vrai qu’on a plus facilement envie de s’habiller comme Pete ou Carl que comme Morrissey et Seijun Suzuki. Et pourtant, au lieu de ce qu’on voudrait être, ils sont ce que nous sommes.

Seijun, c’est la beauté fortuite d’une tasse de thé parce que par hasard, je l’ai orienté d’une telle façon sous ma lampe. Seijun sublime le réel sans faire de films. A aucun moment, on ne détecte de jeux d’acteurs ou de jeux de lumières. On peut les déduire d’après ce qui se passe, d’après la beauté des plans, mais ils ne sont pas visibles. Seijun a cette force, la même que Wong Kar Wai, celle dont parle Catherine Vaubaun dans I Heart Huckabees. Grâce à lui, tout est connecté, je suis Joe Shishido, Joe Shishido est ses joues, etc. Je placerai Detective Bureau 2-3 juste après la Jeunesse de la Bête, suivi de La Marque du Tueur. Le reste est en rentré, parce qu’il n’y a pas Joe Shishido. Joe et Seijun forment un couple magique qui a la puissance de sortir de l’écran. Je me souviendrai à jamais de ma première vision de la Jeunesse de la Bête, je me rappelle exactement de l’atmosphère dans ma chambre, du temps qu’il faisait noir, du couloir qui n’était pas allumé. C’était il y un an. Il est tellement difficile de parler autrement de Seijun et Joe. Résumer les films serait inintéressant. Les théoriser serait un boulot de vieux critique chiant. Seijun et Joe marchent pour moi. Seijun et Joe vivent en moi. Alors c’est impossible de les raconter, de les donner à quelqu’un d’autres, pour aucun argent, aucun sentiment.



C’est Noël. C’est supposé l’être. Je n’en vois pas les stigmates. Je suis coincé sur la quatrième page de Nuits Ardentes. J’aimerai pouvoir écrire des choses aussi prenantes que ce que j’ai écrit ici dans le passé, mais c’est tout bonnement impossible, puisque ça parle de minuscules morceaux de moi, compréhensibles uniquement par moi. Serai-je un jour capable d’écrire quelque chose sur un(e) autre que moi ? C’est le seul cadeau de Noël que je demande vraiment au Père Noël, sans y croire, en sachant qu’il m’observe, comme le sait Stevie Griffin quand il commande de l’uranium. Je suis censé être entrain d’écrire cette quatrième page de Nuits Ardentes. Et je ne sais pas quoi dire. Ou plutôt je sais trop. J’aimerai être surprenant, j’aimerai prendre à la gorge et transformer le lecteur. Lui donner une sensation de vide. Ne pas savoir le faire ne veux pas dire que j’écris mal ou que je n’est aucun chance de réussir à publier un livre. Non, j’aimerai avec cette capacité pour moi, simplement. Pour pouvoir être fier. Le secret, c’est que j’aimerai me prendre à la gorge, me transformer, et me donner une sensation de vide autour de moi. Je suppose que ce sont les états d’âmes de ceux qui essayent d’écrire.


Dans la période de Noël, normalement, j’ai de la bonne musique, des surprises et quelques surprenantes séances de cinéma. Pour l’instant, je n’ai rien eu de tout ça. Rien de très existant à fouler la terre musicale depuis pas mal de temps ce qui fait que je réécoute Louder Than Bombs des Smiths et la BO de Champs Elysées. Au cinéma, il n’y a guère que Trois Enterrements qui était à voir et c’est une bouse sans nom (mauvaise musique, caricatural, scénario moulé dans 21 grammes, réalisation pas forcément époustouflante, très mauvaise caractérisation des personnages, volonté manifeste d’en faire une parabole= pleins d’erreurs, aucune grandeur, à part les 5 secondes où ils ne trouvent pas Jimenez, qui devient une espèce d’Albion dont Melquiadès était nostalgique alors qu’elle n’a jamais existé –mais l’inconsistance du scénario vient vite boucher la brèche). Côté dvd, Sympathy for Mr Vengeance était du niveau de Trois Enterrements, Huckabees très sympa mais pas bouleversant en tant que film. Il n’y a que Seijun Suzuki pour graver quelques images dans ma tête, des couleurs, le rouge, le blanc de la salle de bal dans la scène finale du Vagabond de Tokyo. Je devrai peut-être d’ors et déjà m’acheter le dvd d’Hong Sang Soo ou des Marx Brothers.



Ou bien . Ou bien est-ce moi qui déconne dans tout ça. Moi qui n’arrive plus à savourer les instants qui faisaient mon bonheur précédemment. J’ai parlé plus tôt de deux vies. En réalité il y en a une troisième qui a commencé en avril 2005, mais je ne l’ai pas mentionné car il s’agit de la vraie vie. Et je suis encore coincé dedans. Toujours dans la même crise, se sentir inutile, perdre son temps, tout le temps, dans n’importe quelle situation. Je n’arrive plus à respirer avec mon Poumon. Transformer tout en magie. Trop d’échecs peut-être. Trop d’obstacles passés. Trop d’obstacles à venir. Réussir à les franchir tous, c’est réussir ma vie. Ni plus ni moins. Le temps file beaucoup plus vite qu’avant. Le temps joue contre moi. Les éléments se déchaînent pour m’arrêter. Ce qui veut dire que, malgré ce que nous pouvons bien dire, je suis sur la bonne voie.

Ma propre petite théorie, c’est qu’au milieu de tout ce chaos, la vie nous donne des preuves de sa propre cohésion, de l’existence, au moins à la base, d’un sens. Ces preuves, c’est ce que nous appelons les belles choses de la vie. Par exemple, quelques jours plus tôt, je croise pour la deuxième fois un car de touriste qui me donne l’impression de tourner en rond à la recherche du centre ville. Sur sa plaque d’immatriculation, allemande, je lis les quatre premières lettres qui sont : « LöST ». Ce sont des choses qui ne s’inventent pas. Comme, je traîne près du Corpus Delicti en attendant que la librairie où j’ai commandé les invisibles n’ouvrent. Dans une très petite rue, je crois une fille magnifique, vraiment, avec des yeux verts, des vêtements extraordinaires, des cheveux bruns et une coupe magnifique, longue, naturelle et travaillée. Immédiatement, elle me fait penser Sophie Auster. De retour chez moi, j’ouvre le magazine de la FNAC pour la trouver en première page avec l’annonce de son passage à Strasbourg le 6 janvier (même si c’est pour me rendre compte plus tard que ce concert semble annulé). Ou bien, j’imprime une très vieille couverture de Faust trouvée sur internet lors de mes recherches sur Down In Albion. En fait, elle ressemble beaucoup à la couverture de cet album. Cet un scan d’un livre de bibliothèque. Il y a le numéro en haut à gauche, le tampon de la bibliothèque, etc. Et il se trouve que cette bibliothèque est celle d’un certain Dr Scherer. Soit un « n » de moins que mon propre nom de famille. Le tampon indique la date de 1887. Tout ce que recoupe. Quand on sait que je voulais utilisée cette image pour la couverture du Manuel de Cristallographie, et quand on connaît l’histoire interne à mon roman à propos de ce titre et de cette couverture … Tout se recoupe.


Ça y est, je ressens l’esprit de Noël. Avoir reçu deux de ses indices en un jour m’a aidé. Et puis il y a eu Ghostbusters II à la télévision, les facéties de Bill Murray, retrouver un medley magnifique de Chet Baker, regarder Anything Else en dvd ce soir, la reste n’a (presque) plus d’importance, même le fait que Nos Nuits Ardentes est toujours bloqué à trois pages alors que je devrai déjà être à cinq.



Encore une preuve le déroulement du monde a une causalité : la playlist random de mon lecteur mp3 suit une trame unique. Parfois, je l’écoute et je retrouve dans enchaînement de chansons que j’ai déjà entendu, la dernière fois que j’en suis servi quelques heures ou jours plutôt. J’écoute, je dépasse le stade où je m’étais arrêté précédemment et découvre de nouveaux enchaînements. Ce qui veut dire que ce que j’écoute de cette façon-là, toutes les chansons, font partie d’un fil, tiré à l’infini par les possibilités de combinaisons, sur lequel j’avance, innocent et ignorant, que je retrouve un enchaînement, c’est que j’ai reculé de quelques minutes sur le fil, puis je recommence à découvrir le fil inconnu. Il n’y a pas de hasard.


Alors pourquoi est-ce que je n’en profite plus ? Pourquoi je n’arrive plus à savourer la moindre chose ? Pourquoi ne suis-je pas entrain d’écrire Nos Nuits Ardentes, au lieu d’être là à être fatigué et à (mal) bloguer ? La réponse à cette question est forcément dans la fonction random de mon lecteur mp3, dans l’écran rayé qui indique, parmi les quelques 3200 chansons chargées, « That’s the story of my life » du Velvet dans une version étrange, qui commence au bout milieu d’une phrase et où la voix de Lou Reed est plus fragile que jamais.

Je ne comprends pas pourquoi quand je repense à cette année, je brois du noir. Bien sûr, j’ai quelques idées. Mais quand même, quels bons moments y-at’il eu …

Regarder Pete live à Bricklane le 4 janvier
Le soir de la Saint Valentin à écouter Adam Green
Lire les Chroniques de Dylan à la fenêtre d’un salon de thé
Voir la Vie Aquatique
Voir une fille jeter des fleurs dans le Rhin à Strasbourg
Voir Garden State pour la première fois à Strasbourg
Chercher, sous la pluie, complètement paumé, la bo de garden state à la sortie de cette séance
Participer à cet atelier d’écriture
Voir Dig pour la première fois et y rencontrer le fantôme de Camille Goemans
Ecrire fiévreusement sur elle à la bibliothèque
Découvrir Le Grand Ecart de Jean Cocteau, par hasard sur un marché.
Enfin lire Détours de René Crevel
Aller à Paris. Voir Devendra Banhart. Me saouler à la terrasse d’un restaurant chinois. Voir les Champs Elysées
Aller aux Eurockéennes, voir Coco Rosie en vrai, The National, Interpol, etc. Me rendre compte que je tiens mieux l’épuisement qu’avant.
Découvrir Chungking Express le lendemain des Eurockéennes.
Voir Locataires de Kim Ki Duk et en sortir inspiré.
Me baigner sous un orage
Voir In The Mood For Love en plein air
Picnicer et se saouler avant de voir Sideways
Ecrire le Manuel de Cristallographie en aout.
Ecouter Television dehors quand il fait beau, en mangeant une glace à la verveine et au pain d’épice.
Me retrouver totalement seul en septembre.
Me balader dans Rome gelé en écoutant l’album « Legs 11 » des Libertines
Voir Match Point à 11 heures du matin un dimanche à Strasbourg
Lire l’Attrape Cœur dans le train en revenant de cette journée, dans un compartiment plongé dans le noir, entouré de deux filles qui lisent et d’une qui dors.
Lire Le Diable au corps en allant à Strasbourg un autre jour par le train
M’endormir en écoutant la bo de Match Point dans le train du retour.
Voir le Cameraman de Buster Keaton à l’option cinéma
Télécharger et écouter Down in albion quasiment en même temps qu’il a surfacé sur le net
Lire cette interview de Peter dans Rock’n’folk à la médiathèque, le soir.
Aller directement après dans la vieille piscine municipale de 1900.
Découper les pages du rock’n’folk, discrètement, à la médiathèque.
Mettre un point final au Manuel de Cristallographie.


Elle était splendide cette année, alors quoi ? J’ai commencé à travailler. Mes amis sont tous partis depuis septembre et nous avons tous changé. Il y a eu moins de bons films. Il y a eu plus de choses, parfois décevantes tout en restant bien, comparés aux sentiments simples, mais gravés à jamais, des années précédentes, comme attendre un bus en sortant pour la première fois de Lost In Translation.

Et puis cette année, c’est officiel, je suis devenu fou. J’ai peté un plomb, j’ai régressé jusqu’aux pires moments de l’adolescence.
Je peux le dire parce que nous sommes le 32 décembre et je suis à Rome. Rien n’a d’importance durant cette période, rien n’est réel et rien n’existe.
J’écris ça parce qu’il faut que j’exorcise cette folie. Elle a commencé, sans erreur possible, avec mon stage, fin avril. Là-bas, j’ai fait des choses dont j’ai encore honte mais que je recommencerai demain si j’y retournais. Et je ne veux pas les refaire. J’ai eu des hallucinations. J’ai volé des choses. Je me suis caché dans des endroits sombres. J’ai fait des malaises. J’ai eu peur . J’ai été ridicule. Aujourd’hui je sais encore que ce qui m’est arrivé à cette période m’a transformé pour le pire et parfois je rechute. Et malgré ça ils me reprennent comme quoi en aucun cas il n’y a de justice. Et moi, je suis prêt à retomber dedans, quelque chose en moi le souhaite même. Le pire de moi. J’écris ça parce que je ne veux pas le refaire. Si je le dis dans mon blog, ça n’arrivera pas, c’est de la magie. JE NE VEUX PAS REDEVENIR FOU. JE VEUX FAIRE MON STAGE ET RESTER MOI MÊME. Il y a cette photo d’identité qui a été prise de moi là-bas. Je suis maigre à faire peur, j’ai la peau jaune, des cernes sous les yeux, et la photo est tellement claire que je semble me dissoudre dans le décor. Dès que j’ai vu cette photo, j’ai su qu’elle ferait parti de la couverture du Manuel de Cristallographie. A la rentrée, j’en finirai le design. J’enverrai le manuscrit à des éditeurs après avoir fini la deuxième correction orthographique. Quoi qu’il advienne, je verrai si toute cette folie était vaine…

Quoi qu’il advienne, je dois écrire Nos Nuits Ardentes. S’il n’y a que sexe, douleur et souvenirs qui existent sur terre, alors ce sera le matériau de ce bouquin. Je dois l’écrire comme un peintre, me relier à mon passé. Je dois oublier mon esprit et me servir du reflet de mon corps comme d’un passage vers mes personnages. Je dois tout bouleverser et leur donner un avenir des plus incroyables. Je dois le finir avant le 25 janvier ou alors j’enverrai Le Poumon après l’avoir décrassé de ces fautes d’orthographes. Je dois toucher au paradoxe de l’humanité, être bon tous le temps comme les meilleurs moments de blog, transcender la narration et l’histoire. Et J’Y ARRIVERAI.



Cette nuit, comme pour exorciser tout ce que j’ai pu écrire dans le post précédent, je fais un rêve des plus prenants, un de ceux qui vous hantent encore le matin, comme je n’en ai plus fait depuis longtemps. Le début se situait dans un parc, légèrement semblable aux jardins des Tuileries, mais tout les parcs se ressemblent en gros plan, et il avait un petit garçon, son chien, et peut être plus loin, le père du garçon. Je ne sais plus pourquoi, j’ai frappé ce petit garçon. Très durement. Je reste persuadé que j’avais une raison et que ce garçon méritait vraiment vraiment ce que je lui ai fait subir. Quoi qu’il en soit, je l’ai très gravement amoché. Je fuis, je prends un bus, discute paumé le chauffeur, le prenant pour ma grand mère, les choses s’arrêtent là. A l’université, j’erre dans les couloirs. Je fais plusieurs conneries habituelles: j’espionne dans les chiottes, j’essaie d’ouvrir des casiers, etc. Mon téléphone sonne. J’apprends que le père du petit garçon me fait un procès pour coups et blessures sur un mineur de moins de 16 ans. Je risque très gros. Complètement hébété, je m’approche d’une fontaine à eau, m’appuie contre elle et discute avec la fille splendide qui se trouvait à côté. Elle compatit, me regarde avec un air de tendresse comme on en a jamais porté sur moi. Le jour du verdict je suis dans le Tribunal et en même temps d’un espèce d’énorme magasin de piscine. La cour me condamne à 23000 euros de dommages et intérêts pour la famille du petit garçon et n’étant pas solvable, ce sera mes parents qui auront à en supporter la charge. Ils m’assurent que tout ira bien mais je sais qu’ils doivent payer les traites de la maison. Simultanément, je deviens fou dans le tribunal et prend une grande inspiration sur le plongeoir du magasin de piscine. J’hurle au juge que je veux aller en prison, je paierai ma dette ainsi, je pourrai y travailler et payer les dommages et intérêts de cette façon, au fur et à mesure, ou bien emprunter la somme juste avant d’être incarcéré et la remboursé de la même façon, en travaillant pour le système carcéral. Je ne veux pas que mes parents aient à racheter des fautes que j’ai commises moi-même. Le juge n’écoute pas. Sur le plongeoir du magasin de piscine, je repense à la jeune fille de la fontaine à eau et j’entends ma voix remplir le tribunal. Du haut d’une demi douzaine de mètres je saute dans une piscine aux parois transparentes, le bleu artificiel de l’eau devient mon monde et ma chute dans ce vide de coton ne s’arrête pas.

J’aimerai, comme Bret Easton Ellis, avoir sept ans, sept jour sur sept pour écrire un roman. Au bout de tout ce temps, c’est forcément un bon roman qui sort, ne serait-ce que parce que je pourrai le réécrire deux ou trois fois par an jusqu’à arriver à la perfection.


Rêve prémonitoire : hier j’ai effectivement couru après un gosse avec une furieuse envie de l’assassiner. Et en plus il l’avait mérité. Ce n’est pas intéressant d’en dire plus, mais ça justifie mon rêve.



Ça y est, je l’ai enfin cette idée qui n’est pas autobiographique, que ne parle pas de moi, qui ne s’inspire pas que des mes fantasmes personnels. A la page 6 des Nos Nuits Ardentes, en version nouvelle. Je ne dis pas que c’est l’idée du siècle, mais c’est une idée, vivante et indépendante. Du coup, ça dépendra de la tournure des choses mais je considère la nouvelle comme une étude pour le roman du même nom et je ne sais pas si je vais pas plutôt utilisé Le Poumon comme une nouvelle pour participer au concours d’écriture.

Monday, December 19, 2005

It begins to rain fish ( ou des grenouilles)



I Heart Huckabees de David O’Russel
Disons le tout net : point de vue dramaturgie, ce film est raté. Donc, il n’a pas reçu cinq étoiles dans vos manuels de profs ratés qu’on appelle aussi magazine. La seule question intéressante serait de s’avoir si l’auteur a fait exprès ou non. Huckabees est l’histoire d’Albert (Jason Schwatrzman) qui embauche des enquêteurs existentielles qu’il a rencontré par coïncidence, afin de résoudre une autre coïncidence (trois fois, il a croisé un portier noir) et plus généralement, l’aider à redonner du sens à sa vie. Voilà pour le canevas général. Eventuellement, Albert a un autre et un pire ennemi, les enquêteurs existentielles ont une concurrente à la philosophie opposée. Huckabees est présenté comme un film " philosophique ", mais bien sur, ça ne veut rien dire. C’est juste un film qui a envie de rire un peu, de dire ou trois choses, de se poser trois ou quatre questions et d’inventer les réponses, parce que les questions en elle-même ne l’intéressent absolument pas. Huckabees pourrait, et a été, interprété comme un bête de film de propagande pour une pensée unique. Sauf que c’est faux, parce que du côté des donneurs de leçons (les enquêteurs existentiels), il y a deux visions qui s’opposent, la théorie de la connexion entre tous le monde (illustré par un drap qui représente l’univers, sur lequel tout le monde est semblable et tout le monde est pourtant unique) de Dustin Hoffman et le nihilisme d’Isabelle Huppert. Tous au long du film, on passe en même temps que les protagonistes de l’une à l’autre, dans un délire d’images, d’expériences, de cris presque exaspérant. Aucune des deux ne sont convaincantes, ils en ressort plutôt qu’elles sont ridicules, tout comme ceux qui font leur apologie. C’est quand les deux s’annulent, vers la fin, qu’elles prennent sens : nous sommes tous connectés par le drap, la vie est une expérience fascinante, mais elle se nourrit de la moisissure, de tout ce qui est mauvais sur Terre. Ça ne veut rien dire et on peut tout en faire. Avant toute chose, c’est la victoire de l’imagination. Télécharge Huckabees, regarde-le sur ta petite télé, c’est comme si tu étais au cinéma, six mois plus tôt. Ferme-les yeux, tu es dans un bar avec Adam, Carl et Peter. Garde les fermés et tu vois Clémentine qui te regarde sous la couette.


Bientôt tu pourra chanter en regardant Charlotte et sa perruque rose. La chose qui nous manque, c’est le souvenir que ça c’est réellement passé. Parce qu’à la base, c’est déjà un souvenir que nous voyons, puis que nous rappelons. La moitié de la chose, c’est tout ce que nous avons. Et c’est suffisant. Est-ce que l’auteur a fait exprès que du point de vue de la dramaturgie, le film soit raté ? Que la logique des scènes n’est pas très articulé, qu’on ne se retrouve plus dans la chronologie passé un certain moment, que l’on ne puisse pas suffisamment s’identifier à l’un des personnages ? Je ne sais pas. Toujours, toujours, le monde a besoin de la moisissure. D’une certaine façon, je ne sais pas pourquoi, ça me rappelle la fin d’Annie Hall : " Because we need the eggs ". On a pas la coquille, mais on a quand même les œufs, non ?

Des fois, je promène sur internet tous dans des livres et je tombe sur un extrait, une nouvelle, que je lis et qui me fait dire " ok, l’auteur a un sujet là, il a de l’imagination en plus ". ça arrive des fois j’ai bien dit, sûrement pas à chaque fois. Et aussi certain que ce genre de textes ne soit pas forcément très original, pas forcément très intéressant, ce sentiment général qui prima va emporter le lecteur en lui. Ce sentiment, il n’existe pas dans ce que j’écrit. Vraiment ça me ruine de devoir le dire mais c’est vrai. Jamais le lecteur ne pourra se dire en me lisant " bon dieu ça c’est malin " ou " mince, je ne m’attendais pas à ça, je n’aurai pas pu l’imaginer ". Donc voilà, plutôt que de me lamenter le long des lignes qui viennent, optons plutôt pour des résolutions de Nouvelle Année :
Résolution n°1 : prendre plus de temps pour peser la validité de chaque mots au sein de chaque phrase, etc.
Résolution n°2 : sortir de la très mauvaise vague sous entendue dans Céline et Manuel de Cristallographie et qui consiste, comme dans Champs Elysées, à me lamenter sur mon propre sort vaguement déguisé, vaguement transposé.

C’est pour ça que je me remet doucement aux comics avec la Doom Patrol de Morrisson et les Invisibles. Sortir la tête de mon cul. Qu’on se le dise, ce sera dur. (et bien sûr, parce que comme dans Huckabees, je ne peux me contenter d’une seule vision de la réalité, voici la vision négative : jamais je n’arriverai à respecter ces résolutions parce que dans l’année qui vient, je n’aurai absolument pas le temps, et de toute façon si j’étais vraiment doué, j’aurai incorporé ces deux choses à mon écriture).



2046 de Wong Kar Wai

Ce film date quand même d’un an déjà et par son biais je peux me rendre compte à quel point 2003 et 2004 nous ont gaté en cinéma comparé à l’année pourrie qu’a été 2005. A sa sortie, je l’avais déjà vu deux fois, et maintenant que je le possède en dvd, je me rends compte qu’à chaque nouvelle vision ce film se lie à des nouvelles choses que j’ai expérimenté, vécu, ou découvert. Ça me rappelle ce que m’avait dit Geoff, assis dans le Café Bergerac, en regardant une photo de Pete, à propos de Champs Elysées. Et c’est vrai aussi que si je veux faire un lien avec le début de mon post, à aucun moment dans ce film on se dit : " mince, je ne m’attendais pas à ça, je n’aurai pas pu l’imaginer ". Le côté malin est par contre beaucoup plus présent dans le film mais ce n’est pas totalement absent de mon style non plus. Bref, le cinéma de Wong Kar Wai me bote au plus haut point.


Ce qui frappe dans 2046, c’est à quel point la narration est fluide. On pourrait le rapprocher de Kill Bill en meilleur. Là où Tarantino utilise des flashbacks en dessins animés, avec des filtres de couleurs, etc., Wong Kar Wai réussit par un tour de force incroyable, à intégrer sans rupture aucune toutes sortes de styles à son film. Et vraiment, on passe de futurs lointain à passé récent, de souvenirs à fictions, de couleur à noir et blanc, sans à aucun moment s’en rendre autrement compte que par la beauté des plans. C’est proprement incroyable et c’est là toute la force du film. M. Chow est un célibataire qui revient de Singapour où il a entretenu une liaison trouble avec une joueuse de tripots, à Hong Kong, il couche avec sa voisine, écrit un roman futuriste nommé 2046, fait des piges pour des journaux, vit une vie mondaine, tombe amoureux de la fille de son logeur, revoit une vieille connaissance de Singapour qui fait semblant de ne pas le reconnaître et se fait assassiner par son amant, repense à une femme qu’il a aimée, retrouve sa voisine, passe différents Noël solitaires, arrange la liaison de la fille de son logeur avec un japonais, etc. Vraiment, ce pourrait être une chronique rapide et rigolote de la vie d’un homme ou au pire, un pur n’importe quoi trop embrouillé. Mais ça ne l’est pas. Et c’est la force même qui empêche le film de tomber dans ce n’importe quoi qui en fait un chef d’œuvre. Ce serait très difficile d’essayer de cartographier cette force, la cerner et la restreindre pour pouvoir en parler. Toutefois, cette force, c’est, facilement Wong Kar Wai. C’est aussi à travers lui le montage du film.


Parce que Wong n’a pas de réel scénario à communiquer aux acteurs, il leur donne leurs personnages et leurs répliques, voilà tout. Alors le scénario doit bien être quelque part. Sans hésiter, il est dans la tête de Wong, et c’est par le montage qu’il l’exprime. C’est une force digne des meilleurs romanciers et c’est ce qui fait l’originalité et l’intérêt. Il n’est pas classique, absolument pas, au sens où l’époque, l’histoire, et les costumes pourrait nous le faire penser. En un sens, la seule chose qui le diffère de Kill Bill, c’est un jogging jaune fluo. Peut-être que bientôt Sofia Coppola nous prouvera qu’elle peut faire aussi bien avec Marie Antoinette : donner vie à des simples post its. Bien plus difficile que d’animaux des gorilles et des dinosaures.




Sympathy for Mr. Vengeance de Park Chan Wooh


Je serai rapide. Globalement, je donnerai 8/10 à ce film. Sur l’échelle de la catastrophe bien sûr. Je crois que je n’avais pas vu de films plus bêtes que celui-ci, au moins en 2005. Comme Séance, le plus raté des Kyoshi Kurosawa, c’est l’histoire d’un enlèvement d’enfant qui tourne mal . Première remarque : comment est-ce que ça aurait pu finir bien ? Alors pourquoi devoir se taper une heure de faux suspens sur l’issue de l’enlèvement, ce qui ne laisse plus qu’une heure pour l’histoire de vengeance. C’est comme si Tarantino avait consacré Kill Bill Volume 1 à tout ce qui s’est passé jusqu’à la tuerie dans la chapelle et Kill Bill Volume 2 à la vengeance de Beatrix. Ça n’aurait plus eu d’intérêt à la longue, surtout pour le 1. Mais Park ne s’est pas non plus trop embêté avec le montage, ni avec le scénario d’ailleurs, ni avec les acteurs non plus (il n’y a personne à la hauteur de Choi Min Sihk). Il a juste eu quelques idées, très violentes d’ailleurs. Donc, qu’est-ce que tout ça signifie ? Si j’avais vu Sympathy for the devil avant Cannes 2004, je n’aurai, personnellement, pas donné la Palme d’Or à Old Boy. Sinon, je l’aurai fait, à l’inverse du jury. Maintenant, il ne faut pas rabaisser Old Boy pour autant. C’est un film magnifique, un opéra, réglé par une musique au couteau, par plans très ingénieux. Malgré tout, parfois, on retrouve les incohérences qui dominent Sympathy for the devil. Mais ce dernier n’a rien. Old Boy lui, a une force.

Thursday, November 24, 2005

Pourquoi Down In Albion est une tragédie (1ère version)



Avec :
Pete Dohety as La Bête
Kate Moss as La Belle
Mick Jones as La Mort

General Santa as Le Diable


Tout d’abord, un poil de sémantique : qu’est-ce qu’une tragédie ? Pour Aristote, c’est un genre dramatique censé inspirer chez le spectateur terreur et pitié ;son protagoniste doit posséder un défaut tragique, qu’il appelle la " faute ". Enfin il considère que la tragédie doit représenter les actions d’hommes nobles ( la rock star) par opposition à la comédie qui s’intéresseraient aux hommes bas. Pour définir la tragédie, Yves Lavandier garde deux éléments : l’exercice du libre arbitre du personnage et la présence d’un défaut tragique (aussi appelé obstacle interne au protagoniste).
Je me suis allé longtemps posé la question de comment j’allais présenter l’étude de " Down in albion " pour qu’elle soit compréhensible de tous. Déjà, il est nécessaire de l’avoir écouté plusieurs fois, de lire mon texte avec le livret et le cd et de ne pas hésiter à relire plusieurs fois l’analyse, après une première lecture, après une nouvelle écoute, etc. Nous allons commencer par évoquer le contexte et les références de l’œuvre avant d’effectuer une analyse titre par titre qui permettra de mettre en évidence une trame pour enfin tirer des conclusions et noter les questions en suspens.
Différents thèmes impregnent le disque de part en part : l’amour (" fuck forever ", " in love with a feeling ", ...), la mort (les nombreux " death on the stairs " …), l’enfer (" what katy did next ") et le mot " down " qui veut dire en bas, au plus bas et en dessous (" down in albion ", " pipedown ", …). Peter Doherty lui-même décline le cd en trois partie, la première étant la rencontre de la Belle et la Bête, puis la Bête est punie et va en prison, et dans la troisième partie, quelque chose d’autre arrivent. En recoupant les éléments, il est très facile de tirer des lignes directes depuis La Divine Comédie de Dante, Faust de Goethe et Orphée de Jean Cocteau. Dans la Divine Comédie, Dante va en Enfer, puis au Purgatoire et au Paradis, guidé par son amour perdu, Béatrice. Dans Faust, le protagoniste fait un pacte avec le diable lui assurant créativité et longue vie. Dans Orphée, le poète est obligé de se rendre là où siège la Mort pour récupérer l’âme de sa femme. Ces œuvres étaient citées sans arrêts plus ou moins directement dans Down In Albion (la référence à Cocteau du premier titre par exemple), c’est à leur relecture post-moderne que je convie le lecteur.

La Belle et la Bête
C’est la scène d’exposition, celle où les personnages sont présentés et se rencontrent. Un garçon (la Bête) et une fille (la Belle) tombent amoureux. Déjà quelque chose cloche, un détail fait changer les comportements ( " Conversation turn devil " ) et de la même façon, quand la Belle se regarde dans le miroir (" Is she more beautiful than me "), la voix de la Bête intervient et la coupe même (" Beautiful ") de la même façon que la " conversation turned devil " plus tôt et le " me " de la Belle se transforme en " She " de la Bête, une entitée indéfinie, une instance féminine surgit peut-être du passé.


Fuck Forever
Le couple s’aime, baise, pour toujours pensent-ils. La chanson est toute en éructation orgasmique, en non-sens flottant au-dessus du lit nuptial et les riffs de guitare évoque une activité sexuelle débridée.

A’Rebours
Etendus sur le lit, ils se racontent et déjà le tableau s’assombrit. Bientôt, ils se font des promesses d’enfants, des promesses dans le sang.

The 32nd of December
A peine commencent-ils à avoir des remords que déjà ils décident de ne plus abord les sujets difficiles d’A Rebours (" Speak but don’t talk about it "). Toujours étendus, le sommeil se fait de plus en plus pesant, ils essayent de se connaître sans évoquer le passé et finissent par s’endormir tout en parlant (la voix de la Bête sur la dernière phrase, le dernier " do " qui s’éteint. )

Pipedown
La chanson ressemble à une fièvre. Les mots s’enchaînent, font des phrases qui n’ont pas forcément de sens qui font des couplets qui n’ont pas forcément de sens. La Bête dors et cauchemarde, elle s’enfonce de plus en plus dans les visions horribles et finit par tomber dans un trou sombre qui l’emmènent loin (" it’s an underground trap, underworld trap). On comprend que, comme l’explique le titre, la Bête s’enfonce, elle va " down ", donc " down in albion ", sous Albion, sous la terre, aux Enfers.

Sticks and Stones
La Bête se retrouve à la fin de tout (les Enfers) et c’est de là que son périple commence (" we’ll begin at the end so far away down "). Nous comprenons que la Bête traverse le fleuve Styx (le " Sticks " de " Sticks & Stones ") sur la barque du Passeur, ce dernier siffle une étrange chanson, derrière eux le Soleil du monde réel s’éloigne et le Passeur lui conseille de ne pas le regarder (" don’t look back into the mother fuckin sun "). Finalement, ils arrivent sur la rive des Enfers, le Passeur repart et laisse la Bête pénétrer seule le Royaume.

Killamangiro
La Bête se réveille aux Enfers, autour de lui des gens sont enfermés dans des cages suspendus, ils l’invectivent, lui demande de l’argent, puis se lamentent de leur condition (" why would pay, to see me in a cage "). Le premier péché que croise la Bête est donc l’avarice.

8 Dead Boys
La Bête rencontre 8 garçons morts qui parlent entre eux. Leurs visages sont grêlés (" you look better now than the last time "), ils s’engueulent, remettent en cause leur amitié (" when it suits you you’re a friend of mine "), se plaignent de leur déchéance (" the life (light) that you wanted was not in store ") et d’être aux Enfers (" so you’ll be in the dark once again ").

In Love With A Feeling
Toujours visitant les Enfers, la Bête pense à son amour pour la Belle et devant lui apparaissent toutes les perversions. C’est de ce sentiment, la perversité, que la Bête commence à être amoureux, et en même temps que ce sentiment se propage en lui, un homme étrange attend (" there’s a odd man on the stairs ") et l’observe, tout en s’approchant de plus en plus au fur et à mesure que les fantasmes de la Bête prennent corps.

Pentonville
A bout milieu de ses scènes de péchés la silhouette sombre se découvre. C’est le diable, c’était lui dans les escaliers (In Love With A Feeling). Il prend la parole et présente ses enfers et leur fonctionnement. Vers la fin, il montre qu’il peut imiter la voix de n’importe qui et pour l’impressionner, prend celle de la Bête.

What Katy Did Next
Le diable continue à parler avec la voix de la Bête. Il s’agit de lui sans aucun doute possible puisqu’il nomme son Royaume (" hell hath no fury ") et seul le Diable a une vie qui peut tuer quelqu’un quand on la raconte (" I’ll tell you my story it’ll make you wish you’d never been born ", à ce sujet, voir le mythe de Lucifer). Il lui propose un arrangement, il veut parler à sa place à la Belle (" I’ll tell her you love her ") et on comprend qu’il s’agit d’un pacte donnant-donnant. La diable veut la Belle rien que pour lui, de toute façon, l’amour de la Bête n’est pas réciproque (" for your love to be true, it must come from her too ") mais il veut bien lui passer des messages, et de toute façon, bientôt, elle ne lui manquera même plus (" You won’t be missing her soon ").

Albion
La chanson commence avec le bruit inconnu d’un mécanisme non identifiable, peut-être un moteur. La Bête est de retour sur terre et traverse de nombreux paysages ( la litanie des villes). Dans les chœurs, on reconnaît la Mort et le Diable qui dressent un parallèle entre le monde réel (" Anywhere in albion ") et les Enfers (" Down in albion "). La chanson se termine comme elle a commencée, avec un bruit de moteur.

Back From The Dead
Dès le début, on identifie ce qu’étais le moteur dans " Albion ", les petits bruits aigus qui commencent back from the dead sont les freins d’un train à vapeur, les " oh oh " sont les lâchés de vapeur et le rythme de la chanson évoque celui, circulaire, du mécanisme qui actionne les roues. Ce vieux train, qui fut électrique dans " Albion ", est celui, intemporel, qui ramène de la mort et annonce le retour de la Mort. A la fin, les sifflements du train se transforment en derniers cris des animaux nocturnes. Le matin approche. La Bête est revenue de la mort.

Loyalty Song
La Bête se réveille au côté de la Belle comme il s’y était endormi. Il évoque son passage aux Enfers, le remet en question et finalement le considère comme un rêve. C’est peut-être le passage le plus primesautier du disque, celui où la Bête savoure le plus d’être avec la Belle. Alors pourquoi de titre ? Sans aucun doute il s’agit, inconsciemment de la loyauté envers le Diable et le pacte qu’a signé la Bête.

Up The Morning
La mort (Mick Jones) susurre à la Bête de se lever(" Up the morning " et le passage sur " Death into the stairs "). C’est la fin du bonheur qui n’aura duré qu’une chanson. Se lever, ça veut dire perdre à nouveau le contrôle et se soumettre à la volonté du diable.

Merry Go Round
C’est le Diable qui introduit la chanson dans le premier couplet. Il parle d’un amour incontrôlable et partagé, contrairement à dans What Katy Did Next. Très vite, la pièce se met à tourner (" How Merrily we go round ") et quand enfin tout se calme, la Bête se releve comme si elle avait dormi depuis longtemps (" like a lord in a bath for days ") et le Diable lui conseille de prendre l’air afin de retrouver des couleurs et de se remettre de la scène monstrueuse qui vient de se passer (" You should get some sun on you face "). La Bête quitte la scène. C’est au Diable de conclure et il nous révèle peut-être quelque chose sur la nature du pacte qu’il a passé avec la Bête (" I’ve been so good to that boy why did I steel all my lighters ? "). La Bête aurait pris le feu du Diable, le pacte était un passage de témoin. Désormais, le Diable, c’est la Bête.

Récapitulons : Down In Albion est l’histoire d’un garçon, la Bête, qui pour aimer la promise du Diable(la Belle) se retrouve aux Enfers, et désespéré d’en sortir, il finit par vendre son âme et de retour sur terre, offre la Belle au Diable.
Ce n’est pas une version définitive, c’est pour le moment la meilleure retranscription de ce que représente chaque chanson, et je sais qu’avec un peu plus de temps et d’acharnement de ma part, cette trame sera totalement clarifiée.
Comme nous venons de le voir, chaque chanson a sa place dans le développement du récit de Down In Albion, les critiques qui taxent l’album d’être trop long ou d’avoir des chansons faibles ne sont pas justifiées. Le titre même, Down In Albion, évoque quelques chose comme Low And Down In Albion, les hauts et les bas en Albion, en portant l’accent sur les bas, tandis qu’on peut aussi identifier ce titre comme un nom pour les Enfers, sous Albion. Ce qui frappe dans ce récit, c’est l’absence de Dieu. Il est absolument inexistant alors que la Mort et le Diable ont le beau rôle. Dans ce disque, il n’y pas d’espoir, contrairement à la Divine Comédie de Dante et on peut se demander si l’album aura des suites qui passeront par le Purgatoire et le Paradis ou bien si, comme dans les histoires de vampires, le royaume de Dieu n’existe pas, ou tout au moins, ne se manifeste pas autrement que par ses échecs.
A ce sujet, il serait possible de voir la couverture de l’album comme l’image de Dieu, assit seul, endormi ou mort, au milieu de son Royaume abandonné par la vie. A moins qu’il ne s’agisse de Cerbère, le chien qui garde l’entrée des Enfers. A moins qu’il ne s’agisse de la Bête, piégé dans ces même Enfers.
D’autres questions restent en suspens :
Qui est la Belle ? une prostituée ?
Qui est la Bête ? cerbère ?
Quelle est la nature précise du pacte passé entre la Bête et la Belle ?
Comment et pourquoi la Bête est arrivé aux Enfers sans passer par la Mort ?
Qu’arrive-t-il à la Bête après Merry Go Round ?
Que signifie ce " She " ? albion ?
Des hypothèses seront développées plus tard, en même temps que l’analyse des thèmes sera étendue. En attendant, pour être prêts, relisez cet article et réécoutez l’album, normalement, tout devrait prendre sens.

Tuesday, October 25, 2005

Le Vendredi 24 octobre, il est 04:56 du matin :

"Qu’est ce que la musique ? Non, plutôt, qu’est-ce qu’une chanson (parce qu’il faut bien s’avouer que ce n’est pas pareil) ? C’est un petit trou de serrure sur lequel l’auditeur plaque son œil . Pour satisfaire son plaisir, un spectacle se déroule sous ses yeux, il peut rester des heures à le regarder en fantasmant que la porte va s’ouvrir. Tout le monde connaît ses maisons, celles dans lesquels on aime flirter avec les murs, parce qu’on sait que ce qui se trouve derrière correspondra à nos attentes. Quand dans mes moments de lucidité, je m’observe et j’observe les autres, je comprends que nous avons érigé ça comme un mode de vie ici à Londres. Tout n’est que chansons, nous sommes tous des chansons. Nous ignorons notre conscience car nous ne pouvons pas la supporter. Londres fonctionne ainsi, ses artères bercent les nuits de chansons depuis quarante ans, sur la sono des pubs, j’ai toujours l’impression d’entendre une de mes compilations persos et si ce n’est pas le cas, je sors ma guitare de son étui. et je la joue.





Et c’est vrai que dans cet environnement, je suis plus prolifique que jamais. Le carrousel et sa musique vont de plus en plus vite, tous les soirs nous jouons, passés les premiers engagements, nous nous sommes retrouvés dans des petits pubs, et puis nous nous sommes fait remarquer encore et encore, de premières parties en affiches de salles lugubres. Une semaine s’est écoulée ou beaucoup plus, je n’en sais rien, je préfère oublier, je suis une chanson. Je ne retiens rien. Je suis le même. J’ai de l’esprit pendant 2 minutes 30 et ensuite, je recommence. Je suis brillant. Les gens m’embrassent. Je suis beau quand je pleure. Alors je n’ai rien d’humain. Je suis autre. Les anglais aiment la débauche alors les Narcisses leur en donnent. Je n’aurai jamais vraiment cru y prendre plaisir. D’ailleurs, ce n’est pas le cas 50% du temps. Les autres 50%, je suis en sueur, torse nu, agrippé par une guitare, je bois pour avoir de l’énergie et quand l’instrument n’est plus là, quand on me l’a enlevé pour le débrancher et laisser la place au groupe suivant, je titube, j’oublie mon existence, ma tête tourne si vite que je m’accroche à la première jeune fille qui croise mon regard et je la garde jusqu’à la fin de la nuit. J’ignore leur excuse, mais les autres garçons et filles font pareil. A aucun moment, plus jeune ou plus tôt dans la soirée, je n’ai voulu que ça arrive. Simplement, ce sont les évènements qui se déroulent. Le monde réel ne me manque pas. Camille me manque. J’aurai cru pouvoir passer ma vie entière dans ses bras, à ne rien craindre, à l’aimer, aujourd’hui je voudrai pouvoir jouer ma musique rien que pour elle, lui susurrer les mots qui ne parlent qu’à elle ;elle a disparu, elle a explosé dans l’air, moi je n’ai plus que mes chansons, tout ce qui reste d’elle, tout ces portraits que je veux jouer si fort qu’elle puisse prendre vie à nouveau et apparaître devant moi, sur scène, en chair et en os, faisant ainsi disparaître les milliers de spectateurs inconnus dont elle prendrait la place.

Je sais bien que ça n’arrivera pas et, comme des milliards de personnes qui se lèvent chaque matin, je fais semblant pour avoir la force de continuer. Les comportements de ce genre, je les repèrent tellement facilement. La nuit dernière, j’avais gardé assez de lucidité pour prendre conscience de la tristesse de ceux qui m’entouraient quand les regards ont commencés à se croiser, quand les mots sont devenus poésie et que les mains se frôlaient, touchaient une épaule, une bouche, des cuisses. Tristan embrassaient une anglaise couverte de taches de rousseur qu’on avait rencontré à la fin de notre set acoustique dans le métro le soir même vers 19 heures et à ce moment-là, j’ai compris que c’était le constat d’un double échec. Enfin, nous, lui, eux, moi, ils, elle, c’est-à-dire Les Narcisses, passions aux aveux : ces baisers lancés à la curiosité criaient que nous avions perdu tout espoir en l’existence d’une âme sœur et que nous étions incapable de changer le monde. D’ailleurs, une nuit a passée, et c’est toujours le cas (comme en suis-je venu à utiliser de l’imparfait ? le contenu fait sens, peut-être). L’on en revient au début, puisque c’est le sens des chansons. Elles existent pour rendre beau le fait que l’amour n’existe pas et pour nous faire oublier le reste. Les restes. Nos vies ne sont rien comparés à ces soi-disant restes. Les restes sont tout. 6 milliards d’êtres humains, une bonne part qui souffre le martyre, qui meurt de fin, de maladies, et qui meurt tout court. Aucune chanson (devrai-je précise, aucune bonne chanson) ne peut parler de ces restes. J’ai pourtant essayé. Une chanson élude, une chanson ferme les yeux et oublie. Alors que faire ? L’horreur existe, sur cette terre, elle est même majoritaire. Faut-il oublier ? Faut-il en avoir conscience ? Parce que non, c’est une certitude, nous ne pouvons rien y faire. Qu’est-ce qui est le mieux ? Savoir sans pouvoir ou espérer pouvoir sans savoir. Je n’en sais rien, je suis une chanson, je ferme les yeux et oublie. "

Extrait des répétitions du Manuel de Cristallographie