Monday, December 19, 2005

It begins to rain fish ( ou des grenouilles)



I Heart Huckabees de David O’Russel
Disons le tout net : point de vue dramaturgie, ce film est raté. Donc, il n’a pas reçu cinq étoiles dans vos manuels de profs ratés qu’on appelle aussi magazine. La seule question intéressante serait de s’avoir si l’auteur a fait exprès ou non. Huckabees est l’histoire d’Albert (Jason Schwatrzman) qui embauche des enquêteurs existentielles qu’il a rencontré par coïncidence, afin de résoudre une autre coïncidence (trois fois, il a croisé un portier noir) et plus généralement, l’aider à redonner du sens à sa vie. Voilà pour le canevas général. Eventuellement, Albert a un autre et un pire ennemi, les enquêteurs existentielles ont une concurrente à la philosophie opposée. Huckabees est présenté comme un film " philosophique ", mais bien sur, ça ne veut rien dire. C’est juste un film qui a envie de rire un peu, de dire ou trois choses, de se poser trois ou quatre questions et d’inventer les réponses, parce que les questions en elle-même ne l’intéressent absolument pas. Huckabees pourrait, et a été, interprété comme un bête de film de propagande pour une pensée unique. Sauf que c’est faux, parce que du côté des donneurs de leçons (les enquêteurs existentiels), il y a deux visions qui s’opposent, la théorie de la connexion entre tous le monde (illustré par un drap qui représente l’univers, sur lequel tout le monde est semblable et tout le monde est pourtant unique) de Dustin Hoffman et le nihilisme d’Isabelle Huppert. Tous au long du film, on passe en même temps que les protagonistes de l’une à l’autre, dans un délire d’images, d’expériences, de cris presque exaspérant. Aucune des deux ne sont convaincantes, ils en ressort plutôt qu’elles sont ridicules, tout comme ceux qui font leur apologie. C’est quand les deux s’annulent, vers la fin, qu’elles prennent sens : nous sommes tous connectés par le drap, la vie est une expérience fascinante, mais elle se nourrit de la moisissure, de tout ce qui est mauvais sur Terre. Ça ne veut rien dire et on peut tout en faire. Avant toute chose, c’est la victoire de l’imagination. Télécharge Huckabees, regarde-le sur ta petite télé, c’est comme si tu étais au cinéma, six mois plus tôt. Ferme-les yeux, tu es dans un bar avec Adam, Carl et Peter. Garde les fermés et tu vois Clémentine qui te regarde sous la couette.


Bientôt tu pourra chanter en regardant Charlotte et sa perruque rose. La chose qui nous manque, c’est le souvenir que ça c’est réellement passé. Parce qu’à la base, c’est déjà un souvenir que nous voyons, puis que nous rappelons. La moitié de la chose, c’est tout ce que nous avons. Et c’est suffisant. Est-ce que l’auteur a fait exprès que du point de vue de la dramaturgie, le film soit raté ? Que la logique des scènes n’est pas très articulé, qu’on ne se retrouve plus dans la chronologie passé un certain moment, que l’on ne puisse pas suffisamment s’identifier à l’un des personnages ? Je ne sais pas. Toujours, toujours, le monde a besoin de la moisissure. D’une certaine façon, je ne sais pas pourquoi, ça me rappelle la fin d’Annie Hall : " Because we need the eggs ". On a pas la coquille, mais on a quand même les œufs, non ?

Des fois, je promène sur internet tous dans des livres et je tombe sur un extrait, une nouvelle, que je lis et qui me fait dire " ok, l’auteur a un sujet là, il a de l’imagination en plus ". ça arrive des fois j’ai bien dit, sûrement pas à chaque fois. Et aussi certain que ce genre de textes ne soit pas forcément très original, pas forcément très intéressant, ce sentiment général qui prima va emporter le lecteur en lui. Ce sentiment, il n’existe pas dans ce que j’écrit. Vraiment ça me ruine de devoir le dire mais c’est vrai. Jamais le lecteur ne pourra se dire en me lisant " bon dieu ça c’est malin " ou " mince, je ne m’attendais pas à ça, je n’aurai pas pu l’imaginer ". Donc voilà, plutôt que de me lamenter le long des lignes qui viennent, optons plutôt pour des résolutions de Nouvelle Année :
Résolution n°1 : prendre plus de temps pour peser la validité de chaque mots au sein de chaque phrase, etc.
Résolution n°2 : sortir de la très mauvaise vague sous entendue dans Céline et Manuel de Cristallographie et qui consiste, comme dans Champs Elysées, à me lamenter sur mon propre sort vaguement déguisé, vaguement transposé.

C’est pour ça que je me remet doucement aux comics avec la Doom Patrol de Morrisson et les Invisibles. Sortir la tête de mon cul. Qu’on se le dise, ce sera dur. (et bien sûr, parce que comme dans Huckabees, je ne peux me contenter d’une seule vision de la réalité, voici la vision négative : jamais je n’arriverai à respecter ces résolutions parce que dans l’année qui vient, je n’aurai absolument pas le temps, et de toute façon si j’étais vraiment doué, j’aurai incorporé ces deux choses à mon écriture).



2046 de Wong Kar Wai

Ce film date quand même d’un an déjà et par son biais je peux me rendre compte à quel point 2003 et 2004 nous ont gaté en cinéma comparé à l’année pourrie qu’a été 2005. A sa sortie, je l’avais déjà vu deux fois, et maintenant que je le possède en dvd, je me rends compte qu’à chaque nouvelle vision ce film se lie à des nouvelles choses que j’ai expérimenté, vécu, ou découvert. Ça me rappelle ce que m’avait dit Geoff, assis dans le Café Bergerac, en regardant une photo de Pete, à propos de Champs Elysées. Et c’est vrai aussi que si je veux faire un lien avec le début de mon post, à aucun moment dans ce film on se dit : " mince, je ne m’attendais pas à ça, je n’aurai pas pu l’imaginer ". Le côté malin est par contre beaucoup plus présent dans le film mais ce n’est pas totalement absent de mon style non plus. Bref, le cinéma de Wong Kar Wai me bote au plus haut point.


Ce qui frappe dans 2046, c’est à quel point la narration est fluide. On pourrait le rapprocher de Kill Bill en meilleur. Là où Tarantino utilise des flashbacks en dessins animés, avec des filtres de couleurs, etc., Wong Kar Wai réussit par un tour de force incroyable, à intégrer sans rupture aucune toutes sortes de styles à son film. Et vraiment, on passe de futurs lointain à passé récent, de souvenirs à fictions, de couleur à noir et blanc, sans à aucun moment s’en rendre autrement compte que par la beauté des plans. C’est proprement incroyable et c’est là toute la force du film. M. Chow est un célibataire qui revient de Singapour où il a entretenu une liaison trouble avec une joueuse de tripots, à Hong Kong, il couche avec sa voisine, écrit un roman futuriste nommé 2046, fait des piges pour des journaux, vit une vie mondaine, tombe amoureux de la fille de son logeur, revoit une vieille connaissance de Singapour qui fait semblant de ne pas le reconnaître et se fait assassiner par son amant, repense à une femme qu’il a aimée, retrouve sa voisine, passe différents Noël solitaires, arrange la liaison de la fille de son logeur avec un japonais, etc. Vraiment, ce pourrait être une chronique rapide et rigolote de la vie d’un homme ou au pire, un pur n’importe quoi trop embrouillé. Mais ça ne l’est pas. Et c’est la force même qui empêche le film de tomber dans ce n’importe quoi qui en fait un chef d’œuvre. Ce serait très difficile d’essayer de cartographier cette force, la cerner et la restreindre pour pouvoir en parler. Toutefois, cette force, c’est, facilement Wong Kar Wai. C’est aussi à travers lui le montage du film.


Parce que Wong n’a pas de réel scénario à communiquer aux acteurs, il leur donne leurs personnages et leurs répliques, voilà tout. Alors le scénario doit bien être quelque part. Sans hésiter, il est dans la tête de Wong, et c’est par le montage qu’il l’exprime. C’est une force digne des meilleurs romanciers et c’est ce qui fait l’originalité et l’intérêt. Il n’est pas classique, absolument pas, au sens où l’époque, l’histoire, et les costumes pourrait nous le faire penser. En un sens, la seule chose qui le diffère de Kill Bill, c’est un jogging jaune fluo. Peut-être que bientôt Sofia Coppola nous prouvera qu’elle peut faire aussi bien avec Marie Antoinette : donner vie à des simples post its. Bien plus difficile que d’animaux des gorilles et des dinosaures.




Sympathy for Mr. Vengeance de Park Chan Wooh


Je serai rapide. Globalement, je donnerai 8/10 à ce film. Sur l’échelle de la catastrophe bien sûr. Je crois que je n’avais pas vu de films plus bêtes que celui-ci, au moins en 2005. Comme Séance, le plus raté des Kyoshi Kurosawa, c’est l’histoire d’un enlèvement d’enfant qui tourne mal . Première remarque : comment est-ce que ça aurait pu finir bien ? Alors pourquoi devoir se taper une heure de faux suspens sur l’issue de l’enlèvement, ce qui ne laisse plus qu’une heure pour l’histoire de vengeance. C’est comme si Tarantino avait consacré Kill Bill Volume 1 à tout ce qui s’est passé jusqu’à la tuerie dans la chapelle et Kill Bill Volume 2 à la vengeance de Beatrix. Ça n’aurait plus eu d’intérêt à la longue, surtout pour le 1. Mais Park ne s’est pas non plus trop embêté avec le montage, ni avec le scénario d’ailleurs, ni avec les acteurs non plus (il n’y a personne à la hauteur de Choi Min Sihk). Il a juste eu quelques idées, très violentes d’ailleurs. Donc, qu’est-ce que tout ça signifie ? Si j’avais vu Sympathy for the devil avant Cannes 2004, je n’aurai, personnellement, pas donné la Palme d’Or à Old Boy. Sinon, je l’aurai fait, à l’inverse du jury. Maintenant, il ne faut pas rabaisser Old Boy pour autant. C’est un film magnifique, un opéra, réglé par une musique au couteau, par plans très ingénieux. Malgré tout, parfois, on retrouve les incohérences qui dominent Sympathy for the devil. Mais ce dernier n’a rien. Old Boy lui, a une force.