Tuesday, December 21, 2004

Ce monde où l'on catche




Extraits :

« Moi qui croyait avoir perdu cet esprit de bonheur, d’inspiration du quotidien, il me suffit de quelques heures de solitude, hors des cours, pour le retrouver. La première neige de l’année commence à tomber, d’abord elle prends la forme traître de petit grêlons, et en une heure, le temps de tourner le dos à un miroir, et tout est blanc. A mesure que le jour s’endort, elle se transforme en pluie. Je vais à pieds jusqu’à la médiathèque. Mes chaussures sont vite mouillées, jusqu’ici tout va bien. Patientant à un feu rouge, un bus passe trop près de moi et je suis trempé de la tête aux pieds. Anecdotique, pas grave, parce que dans mes oreilles, j’ai Chet Baker en mp3 anonymes. Je trouve la couleur de ce Noël, celle que j’avais si peur de perdre à jamais, comme j’ai peur de perdre la couleur des jours, ces deux semaines à venir vont s’animer des sons de Chet Baker, des Rolling Stones (pas Forty Licks, non non, Single Collection), des Sun Sessions d’Elvis, et de Las Ondas Marteles, en lieu et place d’Adam Green, Jeffrey Lewis et the Postal Service l’année dernière. Aussi bizarre que ça puisse paraître pour les initiés, je ne suis pas sûr que cette cuvée soit la meilleure. Là n’est pas l’important, l’important c’est que ce monde parallèle, où il n’existe plus ces lieux artificiels, où les marionnettes sont de bois et où contempler à encore un sens.
J’essaie de produite à nouveau. Photographie mise à part bien sûr. J’essaie d’agencer mes idées, d’écrire des poèmes. J’ai bien l’impression de ne pas être un poète, malheureusement, de ne pas savoir placer les mots ni raconter. Il ne s’agit pas de raconter une histoire, mais de raconter un rêve, un fantasme, un objet ou un visage. Ce sont ces choses qui font l’histoire. Je ne sais pas le faire, je ne suis pas doué pour. Alors je ne suis doué pour rien, pour pas grand chose même. C’est triste, je me force, je n’ai pas peur de la perfection, c’est elle qui a peur de moi. L’époque, notre époque, n’est sans doute pas propice à cela, aujourd’hui la poésie ne veut plus rien dire, il ne dit plus rien à ses lecteurs et ses lecteurs ne lui disent plus rien. D’ailleurs elle n’a plus de lecteur. Quelle souffrance de vivre dans un monde où les gens ne connaissent pas la poésie. Je ne me vante pas, je ne lis pas de poésie tous les jours, je n’en écris pas tous les jour, je n’en connais pas par cœur, j’en ai lu très peu en fait. Mais la poésie de Cocteau reste celle qui a changé ma vie, ma vision du monde et de l’écriture, comme un enfant qui voit une épave de voiture être sortie du lac où il se baigne. C’est ça le secret. Les enfants vieillis de ma génération n’ont pas de souvenirs de poésie qui ont pu forger leur vision. Les enfants vieillis de ma génération gardent le goût amer qui se colle à la langue lorsque l’on lèche un bout de plastique. Ce n’est plus la génération de la terre, ni du bois, ni même du goudron. C’est celle du plastique, des parcs d’attractions, du micro-onde, de la montre à quartz. Insatisfaite, impatiente, mécontente. Et surtout, ne rien faire pour changer cela. Passer à autre chose et »


« Qu’est-ce que j’appellerai de la magie moderne : une rencontre fortuite et improbable, qui s’appuie sur toutes les lois de la nature moderne. Tous d’abord, ces lois sont celles énoncées par Freud en tant que piliers de la nature humaine, à savoir la perception, les préjugés, les stéréotypes, le fausseté du regard. Peut-être était-elle fausse à l’époque, en tout cas, aujourd’hui elles nous ont été directement implantées dans le cortex par la publicité télévisée. Je rentrais chez moi en écoutant Las Ondas Marteles dans les écouteurs de mon walkman. La neige avait commencée à fondre. Plus tôt, je m’étais touché le visage avec un doigt et ma peau était si fragilisé par le froid que je me suis griffé. Je pose la main sur la porte d’entrée de mon immeuble et elle s’ouvre toute seule. Une femme l’a tirée à ma place, une femme la quarantaine, les cheveux courts et roux, et derrière elle, une jeune fille de mon âge la suit. Je dis bonsoir, il n’y a qu’elle qui me réponds. Un court instant, un fragment de seconde, je la vois que son regard sur moi se trouble. Elle a de magnifiques yeux bleus, une chevelure brune et des joues rondes. Elle disparu le long de la rue. J’aurai pu, dans l’absolu, lui dire que je l’aimais. C’était la première et la dernière fois que je la voyais, mais j’aurai pu. Là n’était pas le plaisir, en lui parlant, je perdais la totalité du bonheur qu’elle a pu me donner. Seul dans le hall de mon immeuble, je me balançais contre le mur en chantant « Y despuès de todo ». Je ne pouvais faire cela, je ne pouvais être romantique, qu’en ne parlant pas à cette fille. A partir du moment où je lui aurai adressé la parole, son image et sa beauté se seraient effondrés parce que j’aurai assez vite résumé sa vie : tous les samedis en boite de nuit, la semaine accrochée au téléphone portable, NRJ sur son autoradio, une sortie à Europarc pour les grandes occasions, trois tours sur le Silverstar au minimum, à Noël, une imprimante et un string pour cadeaux. Ce que je cherche à dire, c’est que la terre entière est devenue identique. Plus les gens cherchent à se rebeller, à s’identifier, plus ils entrent dans le moule. Plus personne n’aime le théâtre et les mendiants de la boulangerie. Plus personne ne fait du violon et écrit des histoires sur une princesse sans jambes. La liste continue. Les gens font ces choses, une par une, parce qu’ils y sont inscrits, que leur nom est sur la liste depuis qu’ils sont tous petits. Ils ne font plus ça par nature, par besoin irrépressible. »

« Parfois, j’en ai conscience, je parle dans le vide. Je raconte n’importe quoi, des ramassis qui n’ont aucun sens, aucune logique. J’exagère pour ne pas avoir à porter le chapeau. C’est moi le problème. Et alors ? Pourquoi MOI, je n’aurai pas la solution. Pourquoi est-ce que le monde ne s’adapterait pas à moi. Je n’ai pas la chance d’être né en adéquation avec lui, alors il faut bien que je rattrape mon infirmité d’une manière ou d’une autre. »

Monday, December 20, 2004

My Darling Clementine




Bien. Ce sont les vacances de Noël. A nouveau. Il y a moins de film que l’année dernière, mais ce n’est qu’une impression. American Splendor, Kill Bill, Anything Else. En fait il n’y avait que Kill Bill durant les vacances. Donc bon. Je pense sans arrêt à mes posts de l’année dernière à la même époque. Je parlais de CQ, de la neige qui tombait, du trou noir temporel que constitue la semaine entre Noël et Nouvel An. Qu’est-ce qui a changé depuis un an. Sincèrement ? Rien du tout. Je viens à peine de me rendre compte que je ne blogge presque plus depuis six mois. C’est horrible, et je me demande bien pourquoi. N’aurais-je plus rien à dire, à écrire. J’ai quand même écrit un roman dans l’intervalle je pourrai dire que ça m’a occupé, que ça a occupé mon esprit. Pour être franc, j’ai plutôt cherché à ne plus me poser de questions. Sur la disparition de Blandine qui au fond n’a jamais existé autrement que comme un fantasme un personnage de livre, sur ma vie, les visages qui la traversent, le manque de visages pour la traverser. En période de fêtes, en période de vacance, en période de fin et de début, on se tourne vers ce bon vieux blog bien sûr. Durant cet intervalle, j’ai progressé, encore et encore, c’est vrai. Il y a quelques jours, je cherchais quelque chose-je ne sais plus quoi- dans ma chambre et je me suis arrêté pour simplement l’admirer. Voir mes appareils photo, ma guitare, le plan de Tokyo sur mon mur, l’affiche Forever Woody, l’amas de mes bouquins, la pyramide de mes disques qui menace de s’écrouler. J’en suis tellement heureux, je me rapproche de plus en plus de la personne que je rêvais d’être il y a deux ans. Evidemment, il manque quelque chose –quelqu’un pour le partager-, mais j’ai tout de même assez de lucidité pour me demander pourquoi j’ai ce besoin si fort. C’est étrange, c’est stupide. Je suis assez heureux comme ça. Je suppose que c’est simplement animal, le couple et le nid, etc. Pas beaucoup de visages féminins qui traversent réellement ma vie. Je fais les efforts nécessaire, maintenant je peux l’assurer, car ce n’était pas le cas des mois plus tôt. Que voulez-vous, une fille aimant la simplicité, le café, les images d’angleterre, la poésie et le romantisme, ça ne se trouve pas à chaque coin de rue. Evidemment, elles dirons toutes aimer ça. C’est très probant. Elles disent aimer ça, mais regardez-les, écoutez-les, observez les gens qu’elles fréquentent, les endroits où elles vont. Vous comprendrez que tous n’est qu’apparence, que distance et qu’attraction, animale encore une fois. Et moi voyez-vous, par je ne sais quel subterfuge, je n’ai pas d’attirance animale. Je ne suis pas moche, plutôt mignon, je ne suis pas con, plutôt marrant (mais pas très humble) et pourtant, personne ne me remarque. Où que j’aille, il ne se passe rien, personne ne tourne la tête vers moi, personne ne m’aime en secret, personne ne m’admire. Oui, j’ai découvert très récemment ce besoin de reconnaissance. En fait, je ne cherche que ça :la reconnaissance. Pas du monde entier, non. La reconnaissance d’un petit public, d’une femme sincère. Je sais que c’est beaucoup. Mais pour beaucoup moins, une fille folle, superficielle, et sans aucune qualité d’écriture a été intégrée à la rédaction de Rock’n’Folk, et des milliers de filles pleurent pour des milliers de garçons qui les ont trompés. Donc, pourquoi je ne pourrai pas bénéficier de ces choses moi aussi ? J’ai mes qualités, et beaucoup de défauts, c’est sûr, même si ce ne sont pas ceux sus-cités. Alors pourquoi pas une petite part du gâteau pour moi aussi ? Parce que j’ai ce facteur Morrissey, on ne me voit pas, et je ne vois pas ceux qui me voient. Et aussi, je suis un sale con qui s’emballe trop vite, je ne fais pas la différence entre l’amour et l’attirance, je suis complètement stressé 24/24, je suis agoraphobe certains jours (surtout quand la foule est stupide), je suis paralysé par la peur, je suis tétanisé par mon manque de connaissance du monde et des autres. Voilà c’est dit ? Je ne m’en plains pas, ça vous arrangé, tous va s’arranger. Mais chaque chose est liée. Je suppose que le moment où le me tendra la main coïncidera avec le moment où je mettrais un pied dans l’inconnu, que le moment où l’on me tiendra la main sera celui où je tiendrais l’autre en échange. Mais je ne peux pas tenir une main invisible, et je ne peux m’extraire de ma tombe sans aide. Parce quel intérêt de s’en extraire si ce qui est dehors n’est pas mieux, hein ? Toujours cet espoir que ce soit mieux.


A la bibliothèque de l’université, je découvre les livres de Marshall McLuhan et William Blake dont j’ai toujours rêvé.
Je commence à avoir mal à la gorge.
Je vais voir Nobody Knows accompagné de Cendrillon, elle ne dit pas grand chose et part en courant à la sonnerie de son portable.


Et puis les idées me viennent pour un nouveau livre. Quelque chose de plus dur, éloigné de moi, un livre qui m’aidera à m’éloigne de moi. J’ai déjà le début, la première scène, la musique, et le générique. Oui, il y a un générique. Du coup ça ferait plus un film qu’un livre. Je ne peux pas enlever ce générique, au moment où j’en ai eu l’idée, une voiture qui sortait d’un portail m’a foncé dessus. C’est toujours bon signe. J’ai du sauter en arrière pour ne pas voir le choc me détruire les genoux. J’ai vraiment pensé être immortel. Et c’est vrai, à certains endroits, à certains moments de la journée, je suis immortel. Si je pouvais étendre cette certitude à tous le reste, je serai guéri. Improbable.