Tuesday, May 31, 2005

Once, A Glimpse




« Camille Goemans lissa sa jupe contre ses cuisses et s’assit. Elle était blonde et ses cheveux ramenés en une courte queue de cheval achevaient d’illuminer son visage très clair, innocent et ouvert. Elle avait 17, 18 ans au plus. Elle feignait d’ignorer que sa jupe blanche plissée montrait sa petite culotte, blanche elle aussi, par transparence. De seins, elles n’en avaient pas, et j’essayais sincèrement de comprendre si elle espérait encore ou sil elle se construisait elle-même son image de petite fille. ‘On évolue pas dans un monde de strass. Personne ici n’est dans le coup, même pas moi, même pas le groupe. On ne fait que s’amuser, sans prétention, parce que nous sommes des gens très sérieux, très tristes et solitaires, et nous, les Narcisses, avons trouvé la formule pour que ces gens regagnent la part d’innocence qu’ils avaient perdus, perdus au fil des ans en même temps que l’espoir s’étiole. Tous, nous sommes des enfants sombres qui jouons avec notre seul jouet. Il n’y en a qu’un et personne d’autre ne l'a. Et pourtant nous sommes entourés de jouets. C’est pour ça qu’il ne sert à rien de prétendre, de faire semblant. Pour être avec nous, il faut y croire. Il ne faut pas se forcer. Jamais. Car tout le monde est un cygne, et tout le monde est un tigre.’ Bien que Paul parlait en fait de Louise Champagne et appuyait sa dernière phrase d’un sourire, pour moi Camille Goemans représentait ce manifeste mieux que quiconque : une étoile éclatante qui serait passée inaperçu dans n’importe quel autre ciel que celui-ci. »

extrait des répétitions du « Manuel de Cristallographie »





J’ai écrit cela aujourd’hui à 16hOO de l’après midi, d’après les souvenirs de la nuit dernière. La bibliothèque par cette chaleur était presque vide et, attablé en face d’une fenêtre, j’avais des relents d’Angleterre, quartiers métissés, musiques et voix jamaïcaines grimpant des immeubles jusqu’à mon Eden.
Quant à l’inspiration, elle est simple et très belle dans mon esprit. Hier soir, ce fut soirée « Rock’n’roll Attitude » dans un ciné pas loin de ma ville. Un concert, un peu forcé, en première partie, puis diffusion de Dig ! puis after avec un mix 60’s. Que du bon. Et dans la salle, cette magnifique fille, qui allait devenir Camille Goemans, assise à l’exact opposé de ma rangée. J’applaudissais en même temps qu’elle durant le concert. Elle était là avec sa mère. La chose la plus rafraîchissante que j’ai vu depuis longtemps :de la simplicité et de la sincérité. Je l’ai dévisagé jusqu’à ce qu’elle me remarque. Après l’entracte, je me suis assis devant elle. Essayé de saisir des bribes de conversation : rien de frappant. Durant le film, sa mère dit de « 13 tales of Urban Bohemia » : ‘c’est celui ci que j’aime ». Ce qui, discrètement, me fait un peu peur : et si c’était la mère qui avait obligé la fille à venir. Bref, après le film, elles restent toutes les deux dans le hall. Elles attendent. La future Camille téléphone. Le soi-disant mix ne commence pas, personne ne danse, il n’y a même pas d’endroit pour, on se contente de parler et de boire. Future Camille hausse les épaules et je les regarde partir, à jamais, elle et sa mère. Fin de l’histoire. Impression que quelque chose passe entre mes doigts comme du sable.
La nuit, je rêve d’elle. Légèrement plus jeune. Aux Eurockéennes, on se rencontre, elle me sourit et on s’aime. Après, elle monte sur scène : surprise, elle est dans un groupe avec sa sœur, c’est pour ça que sa mère était là, pour les voir jouer. Elles jouent fort, et murmurent. Un mélange de Coco Rosie et Tegan & Sara. Dans mon souvenir, Future Camille s’appelait Joanna Newsom. Le public n’apprécie pas le concert, ils jettent des choses, alors je me lance dans le tas et commence à frapper.


So here we are. Bloc Party passe en même temps que Coco Rosie aux Eurockéennes : j’irais voir Coco Rosie. Dans un mois exactement, je serai chambre 26, à l’hôtel Albion. Mon lecteur mp3 vient d’enchaîner les Beatles, Maximo Park et Joanna Newsom et me sort aléatoirement une playlist de rêve. Que vouloir de plus ? A part de le partager. On me demande « il n’y a jamais rien de négatif dans ta vie de tous les jours ? ». Je réponds que si bien sûr, quand tous les jours je vais travail et que je me transforme en ce jeune mec de 20 ans inexpérimenté et à l’Ouest. Mais j’y ai mes meilleurs idées pour mon prochain roman, et j’apprends à m’y affirmer aussi, inconsciemment. Alors je ne peux pas m’en plaindre, ça s’arrêtera dans 1 mois et demi et je serai quelqu’un de totalement différent, soulagé et meilleur. Dans ces moments de questionnement sur le vide, je pense encore à B. Je voulais d’abord écrire ce post sous la forme d’un mail pour elle, mais je sais bien que je n’aurai pas le courage d’appuyer sur le bouton « Envoi », pas tant que je n’aurai pas écrit mon nouveau roman et donc tenu ma promesse de revenir en rock star, plus foutu qu’Iggy, plus poète que Pete. Et pourtant j’en meurs d’envie, de savoir comment elle va, de savoir si elle est heureuse. Et aussi, plus idiotement, encore et encore de savoir si elle est bien ce qu’elle est, si elle est vraiment mon âme sœur. Pas que je fasse une fixation sur sa personne, et pourtant, c’est juste que nous partagions tant de choses, et la même façon de les vivre. Sans doute que l’on aurait pas pu se blairer en vrai. Essayer encore et encore. Parce qu’il n’existe personne d’autre comme ça. En tout cas je cherche. C’est ça Camille Goemans, au premier abord si belle, fragile et affirmée, affirmée parce qu’elle cherche, c’est une défricheuse comme moi. Et celle qui a inspirée Camille je ne saurai jamais qui elle était vraiment, qui elle préfère entre les Dandy Warhols et les Brian Jonestown Massacre. De tout mon cœur, je donnerai n’importe quoi pour la revoir, qu’elle me fasse un signe, avoir l’occasion de lui parler. Pareil pour B. Et ne pas être déçu. Peut être que si ça n’arrive pas, c’est pour m’éviter d’être deçu justement. Non non non, c’est faux. Si c’est ça : « ». Et voilà.

Sunday, May 15, 2005

Body and Soul



Le truc, c’est que je me suis écroulé sur elle, ou bien l’inverse. Je ne sais plus lequel de nous deux est arrivé en retard. En tout cas, le film avait déjà commencé, les lumières étaient noir, l’écran s’éclairait doucement de blanc dans un assourdissant silence. Cette salle de cinéma était énorme, sans doute près d’un milliers de place, et il a fallu que nous choisissions la même. Je crois bien que c’est elle qui est arrivé après. Je l’ai vu dans l’allée, je l’ai suppliée par télépathie et elle s’est approché, à demi courbée, vers moi, très rapidement, elle s’est assise en regardant l’écran et deux secondes avant de m’écraser, elle m’a senti et à glisser ridiculement sur le siège d’à côté. D’ailleurs, elle l’a immédiatement fait remarqué : « je viens d’être ridicule là, non ? » à voix très basse, pour elle même. Mais je ne pouvais m’empêcher de répondre, en essayant de ne pas la regarder, en essayant de ne pas montrer à quel point j’étais déglingué : « Oui, mais je ne me moquerai pas, promis ». Et une promesse est une promesse, même dans ces temples du pop corn. Le reste du film se déroula sans un mot, j’essayais de l’oublier au mieux, et du reste elle restait discrète, pas de souffle, pas de mouvement, presqu’absente. Le film terminé, les lumières se rallument et la salle au début pleine était déjà déserte. Incompréhensible. Nous partageons notre étonnement par deux ou trois moues. Finalement, je dois commencer à parler, je suppose. Elle rit et voilà.


Dans le bus pour aller voir Last Days, j’aurai juré qu’ils allaient m’accompagner. Cheveux gras et longs, peaux grêlées de grains de beauté, yeux de fumeurs, fringues larges. Et puis non, ils descendent à la patinoire. Pas que j’en ai quoi que ce soit à foutre. Leurs conversations sont vides et ma mâchoire m’élance depuis que le boulot me fait crisser des dents. La séance à déjà commencé. Pas le film. Comme il n’y a plus de monde dans la queue, j’en profite pour draguer la caissière. Trucs habituels des ringards comme moi. Dans la salle, le lendemain de la sortie nationale, dans le seul cinéma de la ville à diffuser le film (quoi qu’il faudrait que je vérifie), je m’attends à la foule, mi teens grunge, mi ex teens grunge. En fait, nous sommes 6. Un couple d’homo, trois adolescentes de 15 ans, et moi. Etrange, n’est-ce pas ? La promo n’a pas marché ? Manque d’information par rapport à la sortie inhabituelle (un vendredi) ? Ou bien un autre cinéma le passerait-il, genre en vf, avec Steve au doublage ? Je n’en sais rien et je dois qu’encore une fois, je m’en fous. Hier soir j’ai loué Ghost World en dvd. Depuis j’ai compris que je n’ai besoin de personne, que mes meilleurs amis sont des choses, et que jamais, jamais, personne ne me plaira. C’est comme ça, je suis un peu Seymour dans Ghost World, un peu Enid aussi. Jamais personne (aucune fille) ne vivra sur ma planète. Je voulais réellement rassurer Enid quand elle était perdue, en larmes, je voulais la faire venir jusqu’à moi, et elle ne m’entendais pas, elle s’en est allé, exactement comme ça ce serait passé si nous nous étions connus. Et durant Last Days, j’ai envie de pisser. Au bout de 10 minutes à peine c’est insoutenable. Des années que je n’avais pu à m’éclipser d’un film. Je n’arrivais pas à rentrer dedans de toute façon. Car Van Sant a inversé son processus, il commence par l’errance, ce qui est très dur étant donné que dans ses deux précédents films, il commençait par mettre en place des boucles d’actions, de comportements, de personnalité, pour ensuite pouvoir créer un sample de notre esprit. Quand je reviens, Blake est toujours face au représentant des Pages Jaunes. Dans ce film, on y rentre vraiment qu’en sortant. Pareil pour toute la trilogie Van Sant. Durant le film, je n’ai fait que penser à moi, à part l’apparition de Kim Gordon et les pièces musicales. A l’inverse, en sortant, je ne pouvais m’arrêter de penser aux films, d’en voir les couloirs dans mon paysage directe. Il faisait clair, un ciel à peine gris, et pourtant il pleuvait. Les arbres étaient verts. Comme dans Last Days. Et je me suis mis à marcher en marmonnant, comme Blake. Je m’arrête, me retourne et regarde quelqu’un s’éloigner. Je n’y peux rien, je suis dans le film. A l’arrêt de bus, je n’arrive même pas à réagir, à sourire, aux propos des adolescentes qui, sans être pathétiques, sont trop verbeuses et vides. Je ne pense même pas à les draguer, c’est dire. De toute façon, comme tout le monde, elle n’était là qu’à l’occasion, pour voir ce film. C’est la même chose qu’à chaque fois. Personne ne vit la musique, le cinéma, les livres. Ce sont des choses qu’ils font à l’occasion, pour se détendre, ils vont dans les salles quand un film les attirent, ils lisent des livres quand on en a parlé à la télé, etc. Ils ne vivent pas la salle comme une extension de leur chambre, ils ne la fréquentent pas, ils n’essayent pas de créer un arrière plan à leur lecture, la musique leur rentre dans les oreilles, mais ils ne la respirent pas. Leurs vies c’est le travail, le sport, la famille, les vacances, les fêtes. Choses que je ne peux essayer de pratique, ni même de comprendre. Bon Last Days reste une déception, pas assez innovant à mon goût, pas assez casse gueule. Malgré tout je comprends pourquoi nous n’étions que 6, et j’en suis très satisfait. J’y retournerai.




Ça fait maintenant presqu’un mois que nous sortons ensemble. Elle est habillé d’un tricot noir, d’une chemise noire, et sa peau est très foncée (ça je crois que ça vient d’une photo de B., mais je peux me tromper). Nous sommes de nouveau dans ce cinéma, traînant dans les couloirs en entendant que la séance ouvre. Chose vraiment perturbante, j’entrevois des poils sur sa poitrine. Des vrais poils. J’en suis étonné, pourtant je devrais la connaître assez pour avoir eu connaissance de ça. Je ne suis pas effrayé, mais je trouve ça dégouttant, et pourtant ça ne me dégoûte pas. On s’assoit au dernier rang, les lumières s’éteigne, et au lieu d’un film projeté, c’est la ville que nous voyons en dessous de nous, comme je peux la voir depuis la fenêtre du café Mozart sur la Place de la Réunion. Nous regardons les gens passés. Je glisse ma main dans sa culotte et je lui dis « je t’aime ».
[Echo : dans une galerie marchande bondée de gens, quelqu’un dit « c’est plein de courants d’airs ici ». Exactement. ]


Je suis toujours totalement exalté par cette magie joyeuse et gratuite : comme l’année dernière à la même époque, toutes les idées pour mon nouveau roman m’arrive à la suite. C’est incroyable, j’avais le thème, comme je l’avais pour Champs Elysées/Les Narcisses et maintenant tout prend forme, les perles s’enfilent. L’année dernière, j’ai eu l’image de la fin de Champs Elysées dans le bus en me rendant à l’IUT, je peux encore me rappeler le regard interrogateur d’une fille qui me regardait gribouiller mes idées dans mon carnet. Cette année, je l’ai eu rentrant du boulot, dans le bus vide de la boite. Les choses se reproduisent, en mieux. Un peu plus tôt même. Tout ça pourquoi ? Je n’en sais absolument, je sais juste que j’ai une chance énorme.

Avec Ghost World, j’ai vraiment découvert le fantasme d’une fille de mon âge. Enid. Pas comme Charlotte ou Clémentine, plus âgées, plus éloignées. Non, Enid j’aurai pu la croiser dans le couloir d’un lycée et me demander qui elle pouvait bien être. Je l’ai peut être fait d’ailleurs, et aurai-je pu imaginer qu’elle dansait sur du vieux rock hindou ? Si j’avais su, si j’avais su, moi qui fait ça sur mon balcon.

Enid, c’est un requin jaguar. Je pense à elle quand j’écoute Sigur Ros.
Il y cette fille, qui m’est apparu lors de la visite de l’usine et qui s’est immédiatement retrouvé dans mes diées pour « Manuel de Cristallographie », mon nouveau roman. Autre l’idée stylistique que l’interaction entre elle et l’usine m’a inspiré, c’est son comportement, et là on ne parle plus de littérature, ou peut être si, qui m’a intrigué. Elle restait à l’écart, toute seule, elle regardait les installations, fascinée, mais pas faussement passionnées comme les autres visiteurs. Je l’avais prequ’oublié quand j’ai vu la nuque et la veste d’une fille en ville. Je me suis dit « Wahou » et je ne sais pas pourquoi. Ces deux simples choses ont fait écho à d’autres en moi. Je suppose que je l’assimile à B., pour un truc bête, parce qu’elle ressemble à une fille du lycée qui s’appelait Blandine. Reste son comportement intriguant, intéressant. J’essais de la suivre en avance. Et ça marche une fois, je la croise complètement, elle me reconnais vaguement, me sourit. Je dois absolument la revoir, essayer de voir si sa solitude, son mutisme, sont vrais. Je dois avoir son adresse, savoir si elle habite Breck Road, et sinon, sur quelle planète.



A la télévision, le festival de Cannes. Sur toutes les chaînes, les seules images sont quelques fragments de montées de marches, de cérémonies. On ne parle pas cinéma. Sur Canal +, c’est mieux, mais je n’arrive pas à rentrer dans le dispositif du « Grand Journal », ceux qui ont le plus de temps de parole sont les moins compétents, les reportages sont de la même teneur que les autres chaînes, il n’y a pas de direct sur les marches, et les invités sont français et sans rapport avec le festival. Que dire. Heureusement, dimanche midi, le journal du cinéma est beaucoup mieux. Pas parfait mais bon. On fait plus qu’apercevoir Woody Allen, Michael Pitt. On voit même un extrait du concert de Pagoda. Alors je retrouve mes sensations, celles de chaque année, chaque festival, l’étrange douleur de louper quelque chose, quelque chose d’important, d’être submergé, de tous côté, par le manque. Quand bien même j’y serai à ce festival, ce serait pareil : trop de films à voir, de gens, d’idoles, d’amis en pellicule, de monde et aussi d’imbécile. J’étoufferai, trop entouré. Ou je vivrai à fond l’instant. Mais quoique je puisse faire, il y aura toujours des rendez vous ratés.

Turn !Turn !Turn !



Revenons en au meilleur instant : je suis assis contre la fenêtre du salon de thé, je lis les Chroniques de Bob Dylan, un stylo en main, juste avant de reprendre du thé pour la quatrième fois.

Par cette fenêtre on peut voir défiler l’entière population de la ville. Tous les visages qui s’animent en contrebas ne font que passer vers d’autres lieux auxquels ils pensent déjà.

Le thé est servi dans la théière bouillante, accompagné d’un bâton de miel séché, et d’une tasse vaguement asiatique. C’est amusant, joli. Ça me plait. Je venais tous juste d’acheter Libération sur la couverture duquel trônait Peter. Un tel sacrement signifie que ce visage là sera stocké dans les archives des bibliothèques, et que pour au minimum les 30 prochaines années à venir, il dormira dans chaque ville de France. Peter peut mourir demain, il vient d’accéder à l’éternité, aussi confinée, confidentielle, soit-elle. D’ailleurs, plus elle l’est, mieux ce sera. Notre éternité à nous, la République Invisible. Pas celle des autres.

Je lis, souligne, et gribouille des phrases dans mon tout nouveau carnet de note (titré : « la mémoire des faits imaginaires »). Tout ça me donne beaucoup d’idées pour mon prochain roman. Pas que j’aime spécialement Dylan (même si Ballad of a Thin Man…), mais son livre est magnifique, et le sous entendu, à savoir la dénonciation, à travers l’ellipse, de l’inexistence de Dylan en tant qu’être humain au profit d’une construction mentale, est exactement ce dont j’ai besoin pour motiver mon imagination. J’ai également acheté la bande originale du livre, parce que je ne pouvais que rendre hommage à celui qui a eu la même idée que moi et qui, lui, a réussi à la concrétiser.

Je sais bien que je dois attirer le regard de quelques uns des richards qui composent l’entière clientèle du salon de thé. Le petit gosse d’appartement qui trône à la fenêtre, l’air absorbé et créatif, c’est moi. Et je dois dire qu’en me regardant dans la glace juste en face de moi, je me trouve plutôt splendide. Cela est dit.

Comme la théière est pleine en arrivant, on peut au moins se servir cinq ou six tasses de thé. Je n’ai déjà plus de miel pour sucrer après la troisième tasse. Et vouloir finir la théière quand même ne fait que dégrader mes sensations. Après 60 pages des Chroniques, j’abandonne l’idée de voir quelqu’un me taper sur l’épaule et me dire « Oh, tu lis ça ? Et qu’est-ce que t’écris ? ». Discrètement, je remplace cette idée par celle de revenir la semaine prochaine dans les mêmes conditions. Je suis presque sûr d’avoir réussi à ne pas me rendre compte de la substitution. J’ai acheté tellement de cd’s et de livres que mes sacs me font mal à la main sur le chemin du retour.

Aujourd’hui, je trouve dans mes notes « Tout à propos d’une après-midi charmante disparaît au profit d’une immense tristesse sans raison, écoutant Jon Brion, la mémoire des faits réels disparue, ne laissait que le puissant goût de l’amertume » (écrit en rentrant du salon de thé), et tout est dit.
C’est comme ça depuis exactement quatre semaines. Je fais des choses, je les oublie. J’oublie les jours et les rêves, j’en arrive même à oublier les choses que je suis sur le point de faire, à oublier leurs conséquences. Je me retrouve dans la situation de mes 16 ans, je refais des choses horribles, ou bien seulement honteuse. Je ne sais pas. Je suis perdu bien sûr, et je ne peux rien y faire. C’est un passage obligé, comme un premier poing dans la gueule ou la première fois au pieux. Les choses se passent, je n’en ai pas le contrôle, mais je surnage pourtant. Je suis en stage. Au minimum 39 heures par semaines. Sans compter les heures où le soir, le week end, je ne peux rien faire, tétaniser par l’absence. Absence de repère, d’expérience, d’intérêt, de repos, de force, d’espoir, de talent, de conviction, d’envie. Ce qui ne manque pas, c’est l’argent. Alors pour profiter de ce long week end de quatre jours, je dépense des centaines d’euros en biens de l’esprit. Si je dis tout ça, c’est bien sûr que le blog est un exercice magique, qui pense toute plaie, qui fertilise toute graine.


En écoutant « Light and Day » des Polyphonic Spree, dehors, au casque, je repense au clip, au fait qu’Eternal Sunshine est le plus grand film de tous les temps (avec les autres) et que je ne m’en étais pas forcément aperçu tout de suite. C’est ça qui est splendide, savoir que le film est attendu, qu’il est de Charlie Kaufman, que c’est un chef d’œuvre, et en ressortir avec un sentiment inconnu et nouveau, qui ne se révélera être un bonheur immense que quelques mois plus tard, quand il aura enfin réussi à percer les dernières défenses de votre métabolisme. Je pense aussi à Blandine, à ce que je lui avait dit au téléphone, « Ne t’en fais pas, je vais t’effacer de ma mémoire comme Joël efface Clémentine dans Eternal Sunshine -Mais non, ne fais pas ça répond elle en riant ». Et cette phrase, je la prononce de tous mon cœur, les larmes aux yeux, la voix faible, mais au fond de moi quelque chose guide les mots très consciemment dans le simple but de voir si elle comprendra la référence, si elle connaît le film, si je venais effectivement de perdre la seule chance de ma vie d’être heureux avec quelqu’un. La réponse était oui bien sûr, c’est pour ça qu’il y eut plus de larmes, après.

Quant à mon nouveau roman, son titre est : « Manuel de cristallographie ». Le plus difficile sera d’être assez inventif pour capturer la violence, le sordide, le sadisme, le masochisme, l’anecdotique et en tirer en même temps de l’amour et de la simplicité, deux valeurs dont j’ai du mal à me détacher. Après avoir vu Locataires, de Kim Ki Duk, je pense qu’il est beaucoup plus facile de faire de la provocation que de rivaliser avec la beauté incroyable de ce film. Donc je vais essayer la provocation, tout simplement parce que la facilité et moi sommes deux vieux amis, parce que j’ai 4 semaines de moi à mes vacances d’été, donc quatre semaines de moins à écrire ou à me préparer à écrire. Pour l’instant, je n’en dis pas plus sur le projet, j’en garde la primeur pour ma Mémoire des faits imaginaires.

D’ailleurs, pourquoi est-ce que j’écris tout ça ici, et pas dans ma Mémoire. Il y a dedans 280 pages blanches qui attendent d’être écrites. Peut-être parce qu’ici j’ai encore l’espoir d’être lu. De croiser à nouveau le regard de Blandine, ou d’une Blandine, sentir ses yeux dévisager mes mots comme elle me dévisagerait, sourire et rire comme elle me rirait, pleurer ouvertement au lieu de doucement tourner la tête pour que je ne la vois pas. J’espère encore et encore. J’espère trouver des idées pour remplir tout de même quelques pages de ma Mémoire ce soir. J’espère avoir de la chance. J’espère que Mai est magique pour moi. J’espère que mon téléphone, ma boite mail, puisse s’animée de simplicité, de pardon. J’espère que la magie de l’an dernier se reproduise. Et dans ce cas-là, j’espère ne plus jamais voir la fin de Mai.